TRIBUNE - Nathalie Lutz, Exponens -
À l’heure où les chefs d’entreprise se cabrent devant une contrainte réglementaire supplémentaire, liée à l’établissement d’un reporting de durabilité CSRD, à l’heure où les chefs d’entreprise déplorent une nouvelle distorsion de compétitivité de l’Europe avec le reste du monde, à l’heure où les politiques pourraient envisager un report de l’application de la CSRD, il importe de rappeler et souligner les attraits de la prise en compte des enjeux de durabilité par le monde économique.
La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) représente bien plus qu'une simple obligation de reporting pour les entreprises : elle leur offre une opportunité unique de démontrer leur engagement en matière de durabilité, un facteur devenu essentiel dans leur valorisation et leur attractivité pour les investisseurs. Grâce à un cadre de transparence et de comparabilité, la CSRD permet aux entreprises de se différencier en se positionnant en tant qu'acteurs de confiance sur le marché.
Un enjeu de valorisation et de transmission des entreprises
D’après une étude de BPCE Observatoire de juillet 2024, qui analyse l’environnement de la transmission-cession des entreprises, ce sont environ 75 000 entreprises qui sont à céder chaque année en France, dont 20 % pour cause de départ à la retraite du dirigeant. La durabilité s'impose comme un des critères essentiels de valorisation pour séduire les investisseurs.
Envisageons deux scenarios. Un cédant n’a pas intégré les enjeux de durabilité dans sa stratégie et n’a pas engagé de réflexions sur la pérennité de son modèle économique au regard des thématiques ESG. Il est évident que les projections de flux de trésorerie futurs nécessiteront un ajustement majeur en termes de charges d’exploitation et d’investissement. La valorisation de son entreprise s’en trouvera minorée.
A contrario, le cédant qui a anticipé les enjeux de durabilité en étalant ses coûts sur plusieurs années, aura déjà bénéficié en tout ou partie des retours sur investissements, avec un impact favorable sur la compétitivité et donc la valorisation de son entreprise.
Il apparaît difficile aujourd’hui d’éluder le sujet de la durabilité dans une valorisation d’entreprise, quel que soit le secteur d’activité.
Des risques extra-financiers non négligeables
Comment une concession automobile ne peut-elle pas se poser des questions sur son modèle d’affaires dans un environnement du tout électrique, cher et contraignant pour l’usager : faut-il passer du négoce au service ?
Comment un fabricant de cosmétiques ne peut-il pas anticiper la raréfaction de l’eau et un appauvrissement de ses approvisionnements dans certains composants et actifs et réfléchir à une composition alternative de ses produits ou un changement géographique de sourcing ?
Comment une organisation d’audit ne peut-elle pas mettre le critère social au centre de sa stratégie, en anticipant coûts et transformation du modèle, au risque de ne plus avoir de ressources humaines de qualité à proposer à ses clients ?
On le voit, la CSRD a le mérite de mettre les risques avérés ou projetés au centre des réflexions stratégiques en imposant aux chefs d’entreprise de réviser ou d’établir leur matrice des risques financiers et extra-financiers.
L’objectif majeur étant de répondre à la thématique prégnante suivante : L’activité est-elle pérenne ? Dans quelles conditions et à quels coûts ?
Un moyen d’orienter les investissements des gestionnaires d’actifs vers l’Europe
Rappelons-nous que la CSRD s’inscrit dans une ambition européenne plus large, déjà amorcée pour le secteur financier via la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), entrée en vigueur en janvier 2023. Cet alignement SFDR-CSRD impose aux gestionnaires d’actifs et fonds d’investissement de prouver que les entreprises dans lesquelles ils investissent respectent des critères de durabilité exigeants. La transparence et la comparabilité apportées par la CSRD permettent à l’Europe de s’affirmer comme un pôle d’investissement durable mondial, favorisant l’attractivité des entreprises européennes et orientant les investissements étrangers vers le continent.
Désormais, les gestionnaires d’actifs ne se contentent plus d’évaluer les performances financières des entreprises. Grâce à la CSRD, ils vont avoir accès à des données fiables et comparables sur les impacts climatiques, les pratiques sociales ou encore la gouvernance d’entreprise. Ces informations standardisées permettront de mieux comprendre les risques et les opportunités liés aux enjeux de durabilité, et donc d’intégrer ces éléments dans leurs stratégies d’investissement à long terme.
Elles leur offrent l’opportunité unique d’accompagner financièrement la transition écologique et sociale du pôle majeur économique européen.
Un enjeu de compétitivité
En conclusion, il semble évident que retarder la CSRD n’aidera pas les entreprises françaises et européennes à gagner en compétitivité. À l’inverse, cette nouvelle réglementation impose de se poser les bonnes questions pour assurer la pérennité des organisations qui constituent notre tissu économique.
En revanche, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux que la réglementation CSRD soit réellement appliquée avec pragmatisme, proportionnalité et bienveillance, en acceptant que la trajectoire ne soit pas linéaire et s’inscrive dans un temps long, progressif.
N’oublions pas que la proportionnalité est prévue par la directive puisque d’une part, l’analyse des enjeux repose sur le principe de matérialité et l’identification d’indicateurs de performance pertinents et que d’autre part, de nombreuses mesures transitoires d’application sont d’ores-et-déjà prévues.
Tribune rédigée par Nathalie Lutz,
Commissaire aux comptes et Expert-comptable au sein du groupe Exponens.