Seuils d’audit : quel audit pour les petites et moyennes entreprises en Europe ?

Commissariat aux comptes
Outils
TAILLE DU TEXTE

stefano-vignoli-expert-comptable-commissaire-aux-comptesA l'heure où les mandats de commissariat aux comptes dans les petites entreprises semblent menacés dans l'Hexagone - avec les récentes déclarations du ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire - Stefano Vignoli, expert-comptable et commissaire aux comptes en France et en Italie, associé fondateur du Studio Vignoli, signe une tribune mettant en perspective la question sensible des seuils d'audit légal en Europe, avec une comparaison instructive entre les systèmes français et italiens.

Il y a quelques jours, le ministre Bruno Le Maire a annoncé dans son discours à Colmar vouloir mettre fin à l’exercice des commissaires aux comptes auprès des petites entreprises. Cette déclaration fait écho à la réflexion sur les seuils d’audit : ce chiffre d’affaires en deçà duquel les entreprises n’ont pas l’obligation légale d’auditer leurs comptes.

Si des seuils sont fixés au niveau européen par la directive 2013/34/EU, ils ne sont pas contraignants et les niveaux divergent sensiblement selon les pays*. D’ailleurs, il est important de noter que très peu d’Etats européens ont opté pour ces seuils, selon l’étude sur l’application effective de cette directive réalisée en 2016 par Accountancy Europe**.

Focus sur la France et l’Italie, deux pays qui ont des réflexions contraires sur le sujet même si leurs lois semblent être fondées sur les mêmes principes, le premier voulant relever les seuils et supprimer ainsi 150 000 mandats, le second souhaitant les abaisser, incluant 175 000 nouvelles entités.

La France et l’Italie entre réflexions communes et points de divergence sur les seuils d’audit

En octobre dernier, l’Italie a voté une nouvelle loi d’habilitation visant à moderniser un système reposant encore en partie sur un décret royale de 1942. S’inspirant en grande partie des procédures françaises, cette réforme permettra aux entreprises hexagonales de rencontrer en Italie un cadre familier. Concernant notamment la résolution des crises d’entreprises, elle renforce les prérogatives du commissaire aux comptes dans la saine gestion et le développement entrepreneurial italien.

Cette loi vise à faciliter la résolution des crises et particulièrement leur détection en amont. Cette résolution sera notamment permise par une procédure d’alerte inspirée en partie du modèle français, dans laquelle le commissaire aux comptes italien prendra une grande place. Sachant que l’Italie ne compte ni comités d’entreprise, ni groupements de prévention agréés, le commissaire aux comptes partagera ce rôle préventif avec les actionnaires et les tribunaux de commerce.

Reconnaissant cette fonction cruciale du commissaire aux comptes, la loi d’habilitation italienne prévoit également un abaissement important des seuils et donc une augmentation mécanique du nombre de structures contrôlées. Si l’estimation est un art complexe, il est déjà possible d’envisager qu’environ 175 000 SRL seront concernées par ces nouvelles obligations.

Ainsi, lorsqu'au moins un des seuils suivants est atteint (contre deux auparavant), l’entreprise doit désigner un commissaire aux comptes :

• 2 millions d’euros de total de bilan, contre 4,4 millions auparavant ;
• 2 millions d’euros de chiffre d’affaires, contre 8,8 millions auparavant ;
• un effectif moyen de 10 salariés, contre 50 auparavant.

Seule incertitude à lever : des décrets législatifs doivent venir préciser les dispositions de la loi. La trajectoire définitive de ces réformes en Italie se dessinera donc après la formation du nouveau gouvernement dont on ne connaît pas encore la couleur politique. En effet, les résultats des élections du 4 mars dernier ne permettent pas pour l’instant de donner un gagnant définitif.

La France, elle, souhaite alléger les contraintes d’audit sur les entreprises. La loi Pacte, visant à redéfinir les missions de l’entreprise, doit être présentée en avril par Bruno Le Maire. Notamment, l’objectif d’allégement des contraintes administratives en faveur des entreprises place au cœur des débats la question du relèvement des seuils d’intervention des commissaires aux comptes dans les PME, particulièrement bas aujourd’hui dans l’Hexagone. Si les sociétés anonymes y sont contraintes dès leur constitution, les SARL, quant à elles, doivent dépasser certains seuils : un chiffre d'affaires supérieur à 3,1 millions d'euros, un total de bilan de plus de 1,5 million d'euros et plus de 50 salariés. Dans les SAS, les seuils sont encore inférieurs.

Pourquoi les entreprises ont-elles intérêt à garder leur commissaire aux comptes ?

En abaissant leurs seuils d’audit, les autorités italiennes tranchent résolument en faveur de l’idée selon laquelle l’audit est un investissement crucial pour les entreprises et non un « poids ». L’audit est envisagé comme outil de prévention, comme outil de croissance et de projection. Un meilleur audit, c’est potentiellement moins de procédures et de litiges commerciaux,  avec une réduction conséquente des frais de justice et des ralentissements économiques que cela engendre. Dans les pays dont le tissu économique est majoritairement formé par des petites et moyennes entreprises (comme l’Italie... ou la France !), le rôle de sécurisation joué par le contrôle comptable peut justifier des seuils plus faibles. Les conséquences d’une réforme en ce sens peuvent donc apporter d’autant plus d’effets positifs pour ces économies.

Pourquoi ne pas aller plus loin et considérer les coûts de conseil financier et dans une certaine mesure, les coûts d’audit comme des investissements à part entière pouvant faire l’objet d’incitations fiscales ? Le ciblage de l’audit en fonction de la taille des entreprises et de leur secteur d’activité est également à approfondir.

Stefano Vignoli, expert-comptable et commissaire aux comptes, associé fondateur du Studio Vignoli

* Pour rappel, la directive européenne précise que ne peuvent être exonérées d’audit que les entreprises n’excédant pas sur deux années consécutives au moins deux des critères suivants :
• 4 millions d’euros au bilan ;
• 8 millions d’euros de chiffre d’affaires ;
• 50 salariés.

** Audit exemption thresholds in Europe, Update after the transposition of the Accounting Directive INFORMATION PAPER, MAY 2016, Accountancy Europe https://www.accountancyeurope.eu/wp-content/uploads/1605_Audit_exemption_thresholds_update.pdf

Les Annuaires du Monde du Chiffre