A l'occasion de Financium, Baker Tilly France organisait une conférence conjointe avec la DFCG sur l'évolution des pratiques en matière d'évaluation d'entreprises.
Dans le cadre de la conférence organisée par Baker Tilly France conjointement avec la DFCG sur l'évolution des pratiques en matière d'évaluation d'entreprises, Christophe Velut, associé Baker Tilly France, Eric Lovisolo, président du comité scientifique de la DFCG et Laurence Branthomme, directeur financier de JC Decaux France, ont tous insisté sur l'importance grandissante de nouveaux critères d'évaluation. Les débats étaient animés par Pascal Ferron, vice-président de Baker Tilly France.
Les méthodes utilisées par les praticiens de la cession-reprise d'entreprise sont multiples. Les plus courantes se basent sur les méthodes analogiques (on compare avec des entreprises similaires), les méthodes intrinsèques telles que les flux de trésorerie actualisés, ou les méthodes patrimoniales (exemple : actif net réévalué avec le calcul d'une rente de goodwill) ; les pratiques professionnelles, dans certains secteurs d'activité.
Depuis la crise, une autre méthode a fait son apparition : les banquiers sont très vigilants à la capacité de remboursement de l'acheteur.
Les méthodes appliquées diffèrent très fortement entre les entreprises cotées et celles qui ne le sont pas. Les entreprises non cotées sont à 60 % évaluées par les méthodes analogiques, 22 % avec la méthode des DCF (discounted cash flows) et 13 % selon les méthodes patrimoniales. Ces dernières connaissent un renouveau depuis quelque temps, car après une époque qui a vu fleurir des évaluations parfois fantaisistes, le retour aux fondamentaux est apprécié.
Les sociétés cotées quant à elles sont environ 75 % à appliquer la méthode des DCF seule dans le cadre des tests de dépréciation, et 95 % à l'appliquer avec une autre méthode, généralement la méthode des multiples (les 10 % restants ne faisant l'objet d'aucune statistique).
> L'écart entre le prix et la valeur se réduit
La tendance est très forte depuis 10 ans : dans 70 % des transactions, l'écart entre la valeur et le prix est inférieur à 5 %, contre 30 % il y a un peu plus de 10 ans. Cette réduction des écarts s'explique d'une part par le fait que les cédants sont de plus en plus nombreux à se faire accompagner par des professionnels de la cession, d'autre part par le fait que les évaluations sont de plus en plus effectuées par rapport à des méthodes analogiques qui font davantage référence à une notion de prix que de valeur. D'une manière générale, pour les entreprises cotées, le prix et la valeur sont proches du fait de la "loi du marché". Plus les schémas d'acquisition sont complexes, plus les écarts se creusent. Autre exemple, si des repreneurs veulent acquérir une majorité de blocage, le prix sera supérieur à la valeur.
Ce n'est pas toujours dans le cas d'une vente qu'une entreprise est évaluée. Il existe de nombreuses autres motivations, comme le benchmark, la mise en place de stocks options, d'incentives, l'attribution gratuite d'actions, la réalisation de tests de dépréciation. Dans ce cas, c'est le plus souvent la formule mathématique qui est prise en compte.
> Une vingtaine d'éléments de valeur
Au-delà des formules mathématiques, il est indispensable d'avoir d'autres éléments pour apprécier la valeur d'une entreprise. Plusieurs critères sont déterminants. Parmi eux : la performance commerciale, le CRM, la performance en e-commerce, mais aussi le type de gouvernance - celui-ci est-il collégial ou autocratique -, la qualité du contrôle interne, la RSE, l'état de recensement des contrats, le portefeuille de marque... Des éléments plus stratégiques rentrent également en ligne de compte tels que le mode de management. Le taux de turn-over est un bon témoin. L'engagement des équipes est un autre critère impossible à "rentrer" dans des formules mathématiques.
Pour certaines entreprises, si l'on se basait uniquement sur le passé, la formule mathématique conduirait dans certains cas à une valeur proche de 0, alors que leur vraie valeur se cache dans leur potentiel. Prenons l'exemple d'Amazon : la méthode des DCF serait totalement inappropriée...
> La subjectivité pour apprécier la valeur
Certains critères peuvent être propres à chaque entreprise. Chez Jean-Claude Decaux, l'un des critères de valorisation est la probabilité du renouvellement des contrats avec les collectivités pour le matériel urbain. Ce pourcentage de probabilité repose en grande partie sur l'intuition des dirigeants.
Identifier les critères pertinents est bien plus fondamental que les formules et leur mode de calcul...
Selon Pascal Ferron, l'intuition pour un évaluateur externe est loin d'être évidente. En effet, aujourd'hui, la plupart des entreprises ont une visibilité à trois mois. Dans ce contexte, on peut s'interroger sur le sens de l'actualisation des flux à l'infini...
> Comment définir une bonne évaluation ?
Christophe Velut identifie quatre contextes dans lesquels des évaluations peuvent être réalisées, pouvant conduire à des valeurs très différentes :
- les bonnes pratiques, mises en avant par les associations professionnelles comme A3E, et depuis deux ans par l'Ordre des experts-comptables et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Ces bonnes pratiques accordent beaucoup d'importance, au-delà des formules, au respect de la démarche d'évaluation, qui passe par un diagnostic approfondi, la mise en œuvre d'une approche multi-critères, l'évaluation des forces de l'entreprise, notamment au niveau de son capital immatériel ;
- les IFRS, qui autorisent au contraire une approche mono-critère, en définissant certains principes contraires aux pratiques des évaluateurs (ex : non prise en compte des investissements de croissance ou des restructurations non engagées) ;
- les évaluations effectuées dans un contexte fiscal, au regard d'un guide établi par l'administration fiscale, très directif sur le plan des formules (formules définies selon les situations), et qui donnent une place principale aux données historiques ;
- et enfin, il existe un "nomansland" d'approches de la valeur réalisées sur un coin de table, sans faire de diagnostic, au-delà d'une analyse financière rapide, qui ne doivent en aucun cas être confondues avec une évaluation.
Quel que soit le contexte, sans diagnostic complet, notamment de la stratégie, on ne peut pas réellement parler d'évaluation au sens économique du terme.
> Comment intégrer les incertitudes ?
Toujours selon Christophe Velut, les incertitudes doivent être traduites dans la mise en œuvre de la valeur, soit au niveau des prévisions (best estimate, tests de sensibilité, scenarii alternatifs), soit dans les paramètres utilisés (taux d'actualisation, multiples), soit dans la conclusion sur la valeur (fourchette de valeurs, facteurs d'incertitude majeurs...). Ce qui est important, c'est la cohérence globale des éléments contribuant à la valeur, plus que chacun des éléments pris individuellement, et la rédaction de la conclusion sur la valeur.
Et surtout, selon Eric Lovisolo, il faut gérer l'incertitude fiscale. La remise en cause par l'administration fiscale du régime favorable des plus-values long terme sur les titres de participation en est une parfaite illustration. Il faut l'intégrer dans les variables d'ajustement.
> Prendre en compte les aspects court terme/long terme
Un exemple : les dirigeants du groupe Jean-Claude Decaux ont pris en compte la décroissance du marché publicitaire et la baisse attendue du chiffre d'affaires en France. Dans ce contexte, comment actualiser les cash-flows sur le long terme ?
> Les bonnes questions à se poser
L'élément déterminant est la stratégie. Curieusement, lorsqu'ils négocient avec les repreneurs, les cédants ont toujours plein de bonnes idées à leur donner pour développer leur entreprise. Comment expliquer, dans ce cas, qu'ils ne les aient pas mises en œuvre ?
L'exercice du business plan est incontournable. Il permettra de vérifier la cohérence entre la stratégie envisagée et les possibilités de l'entreprise. Trois éléments doivent être étudiés de très près :
- la pertinence de la stratégie, qui doit être le reflet direct du diagnostic ;
- l'adhésion des hommes clés à la stratégie du dirigeant ;
- la faisabilité. Un dirigeant qui a prévu d'investir 10 millions pour mettre en œuvre sa stratégie mais qui subit déjà un endettement représentant 100 % des capitaux propres ne peut pas être crédible.
La difficulté est liée à la prise en compte de cette analyse dans la valeur. Il n'existe en effet pas à ce jour de modèle permettant d'intégrer de manière automatique un diagnostic dans la valeur... mais ce n'est peut-être pas une mauvaise chose.
Et de plus en plus, les financiers étudient la rentabilité par rapport aux capitaux permanents nécessaires à l'exploitation, au-delà de la rentabilité exprimée en pourcentage du CA.
En matière d'évaluation, les formules mathématiques sont incontournables, car il s'agit de donner une valeur, de fixer un cadre qui soit consensuel entre les experts, qui rassure. Il est important de ne pas subir la dictature des formules, en respectant les bonnes pratiques définies par les experts en évaluation (diagnostic, approche multi-critères...). Mais cela ne suffit pas : un bon évaluateur a nécessairement les bonnes formules et les bons outils, mais il a également de l'expérience et de l'intuition.