Lors d'une conférence organisée par Baker Tilly France dans le cadre de son partenariat avec la DFCG, Olivier Raingeard, chef économiste à la banque Neuflize OBC, a analysé l'état de l'économie mondiale, dont le rythme de croissance n'accélère pas et reste ancrée autour de 3 %. Pascal Ferron, vice-président de Baker Tilly France, animait les débats.
Depuis deux mois, les incertitudes sur l'état de l'économie mondiale resurgissent, avec pour épicentre les pays émergents. Les économistes tablaient sur une accélération de l'économie mondiale à 3,5. Or, pour l'instant, le rythme de croissance est de 3 %. La première raison : une désynchronisation entre les pays développés dont la croissance accélère, et les pays émergents qui décélèrent depuis plusieurs trimestres. De plus, on constate d'importantes disparités au sein des pays émergents : l'Amérique latine et l'Europe de l'est stagnent ; l'Asie affiche encore des taux de croissance élevés mais la Chine ralentit....
> L'économie progresse sous son potentiel de croissance
Un élément rassurant : la zone euro est plus vigoureuse. En revanche, le fait que le système économique et financier mondial reste déséquilibré est un facteur inquiétant. « L'output gap », c'est-à-dire le différentiel entre la croissance réalisée et la croissance potentielle, reste important au sein des pays développés. La croissance de la population active et la croissance de la productivité, déterminants de la croissance potentielle, ralentissent. Autre élément de déséquilibre : les situations budgétaires des Etats ne sont pas restaurées. Les déficits restent importants et l'endettement continue de progresser.
> Le risque de déflation persiste
La déflation est une baisse auto-entretenue et généralisée d'un ensemble de prix (prix à la consommation et à la production, prix des actifs...). Depuis 2009-2010, le risque de déflation mondiale a plutôt diminué. Pourtant, malgré des années d'injection de liquidités, ce risque reste sensiblement plus important que celui qui prévalait avant la crise de 2008 et 2009. Les banques centrales des pays développés luttent contre, en ayant leurs taux directeurs autour de 0, et en conduisant des politiques dites non conventionnelles, consistant en l'injection de liquidités. Le bilan de la banque centrale américaine est passé de 800 milliards de dollars à 4500 milliards de dollars en l'espace de 7 ans ; celui de la banque centrale européenne devrait atteindre 3000 milliards d'euros l'année prochaine.
> La remontée des taux sera lente
La remontée des taux tardera à venir. La banque du Japon n’est toujours pas sortie de sa politique à taux zéro mise en place au milieu des années 90 ; elle achète massivement des obligations d’Etat japonais depuis 2013. Quant à la banque centrale américaine, qui n’a pas augmenté ses taux depuis 2006, elle va essayer de les augmenter légèrement et progressivement au cours des prochains trimestres. Concernant la banque centrale européenne, celle-ci devrait continuer à injecter des liquidités au moins jusqu’en septembre 2016. En conséquence, une hausse de son taux directeur ne semble pas envisageable avant fin 2017.
Force est de constater qu'aujourd'hui, l'arme des taux d'intérêt est dépassée par celle de l'injection de liquidités. Les politiques monétaires sont également désynchronisées : cela crée de l'instabilité financière et de la volatilité sur les marchés des changes.
En France, les taux d'intérêt restent faibles. Il faut savoir que la France est un pays riche, avec un fort sous-jacent économique. La croissance de la population active, et de la population en général, est beaucoup plus forte qu'en zone euro et en Allemagne. Les Français sont très productifs. Néanmoins, la position de la France, qui reste relativement bonne comme l'indique sa notation AA, ne cesse de se dégrader depuis dix ans.
> Vers une stagnation séculaire ?
Une des problématiques actuelles est la faible croissance. D'où le débat lancé outre-Atlantique : n'est-on pas rentrés dans une stagnation séculaire ? Curieusement, la zone euro ne se pose pas réellement la question, alors que c'est elle qui est la première menacée. D'autres spécialistes affirment qu'il s'agit surtout de résorber les excès d'endettement. Généralement, après une crise économique et financière forte, les reprises sont très modérées. Cette problématique de l'endettement devrait rester devant nous.
La stratégie pour répondre à cette situation est celle dite de la « répression financière », qui consiste à assurer le financement des Etats par la création ou le maintien d'une base d'investisseurs domestiques et par le plafonnement explicite ou implicite des taux d'intérêt. Elle fonctionne aujourd'hui pour l'Allemagne, dont l'endettement diminue rapidement.
> Le temps des marchés financiers n'est pas le même que le temps politique
Les banques centrales mettent en place les conditions pour que le désendettement se fasse. Mais, comme elles ne cessent de le rappeler, l'arme monétaire n'est pas suffisante. Leurs actions doivent être accompagnées par la mise en place de mesures permettant d'accroître le potentiel de croissance des économies. Malheureusement, l'effort de réformes est pour l'instant insuffisant.
> La banque centrale américaine est devenue la banque centrale du monde
La capacité des pays émergents à générer de la croissance est sans cesse mise en avant. Or, eux aussi sont confrontés à des difficultés. La première tient dans leur déséquilibre interne. En Chine, par exemple, le poids de la consommation représente 36 % du PIB, alors qu'il représente entre 55 et 65 % dans la zone euro et 67 à 70 % aux Etats-Unis. La deuxième difficulté réside dans l'importance des crédits en dollars octroyés aux agents économiques en dehors des Etats-Unis.
La banque centrale américaine a toutes les bonnes raisons d'augmenter ses taux, au niveau domestique, mais elle doit prendre en compte le fait qu'elle est redevenue la banque centrale mondiale. Une augmentation de ses taux engendrera une augmentation du coût des financements pour les pays émergents, lesquels ne sont peut-être pas capables de le supporter. Même si une stabilisation de l'activité est probable d'ici à la fin de l'année en raison de mesures de soutien prises par les autorités politiques et monétaires, les pays émergents resteront au centre des inquiétudes au cours des prochains trimestres.
> Des facteurs rassurants pour la zone euro
En résumé, à court terme, les pays développés se portent bien. La baisse des prix du baril de pétrole est un facteur de soutien. La zone euro a retrouvé de la vigueur. Et l'on s'attend d'ici à la fin de l'année à une stabilisation de la sphère des pays émergents. Mais le risque déflationniste est structurel, le système économique et financier mondial restant déséquilibré.
Pascal Ferron conclut : « Comme nous avons eu l'occasion de le noter ici même les années précédentes, les chefs d'entreprise et les directeurs financiers ne doivent pas anticiper de perspectives de croissance forte issues de la macro-économie sur leurs marchés européens dans leur prévisionnel et autres business plans. La nouveauté, cette année, est qu'il en est progressivement de même pour beaucoup d'autres marchés. La France est et reste un pays riche qui offre toujours un potentiel important mais a l'art de se créer des boulets et de se tirer des balles dans le pied, au grand avantage de ses concurrents, ce qui a pour effet de reléguer le potentiel au stade de seul potentiel tant les efforts à faire sont toujours repoussés dans le temps. La croissance de leur entreprise ou de leur modèle ne pourra venir que de celle d'une niche et seulement pour un temps court, puis de leur propre sens de l'innovation, de leur prise de risques, de l'énergie à déployer et de l'ardeur à la mettre en œuvre au quotidien. Sans ces ingrédients, tout autre prévisionnel de croissance est tout simplement non crédible. »