Brigitte Guillebert et Janin Audas co-signent un article sur la maîtrise de la qualité par les cabinets d'audit.
Tout cabinet d’audit se doit de gérer la qualité de ce qu’il produit, c’est-à-dire avoir en permanence une organisation capable de produire ce qui satisfait le client et qui réponde aux normes d’exercice professionnel.
La maîtrise de la qualité passe par la mise en place d’un système de management de la qualité au sein du cabinet. Elle nécessite également une bonne organisation du cabinet et de son contrôle interne.
1. Rappel sur la notion de contrôle interne
Le système de contrôle interne est l’ensemble des politiques et procédures mises en œuvre par la direction d’une entité en vue d’assurer, dans la mesure du possible, la gestion rigoureuse et efficace de ses activités.
Les procédures de contrôle interne impliquent le respect des politiques de gestion, la sauvegarde des actifs, la prévention et la détection des irrégularités et inexactitudes, l’exactitude et l’exhaustivité des enregistrements comptables et l’établissement en temps voulu d’informations financières ou comptables fiables.
Le système de contrôle interne s’étend au-delà des domaines directement liés au système comptable.
Il comprend l’environnement général de contrôle interne qui est l’ensemble des comportements, degrés de sensibilisation et actions de la direction concernant le système de contrôle interne et son importance dans l’entité. Cet environnement a une incidence sur l’efficience des procédures de contrôle interne spécifiques. Toutefois, un environnement de contrôle interne organisé ne constitue pas, en soi, une garantie d’efficience du système de contrôle interne.
Les éléments essentiels qui le constituent sont les suivants :
- la philosophie et le style de la direction ;
- la fonction du conseil d’administration et de ses comités ;
- la structure de l’entité et les méthodes de délégation de pouvoirs et de responsabilités ;
- le système de contrôle de la direction comprenant la fonction d’audit interne, les politiques et les procédures relatives au personnel ainsi que la répartition des tâches ;
- les procédures de contrôle qui désignent les politiques et procédures définies par la direction afin d’atteindre les objectifs spécifiques de l’entité complémentaires à l’environnement général de contrôle interne.
Limites inhérentes aux contrôles internes
Le système de contrôle interne ne donne pas à la direction la certitude que les objectifs fixés sont atteints, et ce en raison des limites inhérentes au fonctionnement de tout système. Ces limites sont les suivantes :
- le coût d’un contrôle interne ne doit pas excéder les avantages escomptés de ce contrôle ;
- la plupart des contrôles internes portent sur des opérations répétitives et non sur des opérations non récurrentes ;
- le risque d’erreur humaine due à la négligence, à la distraction, aux erreurs de jugement ou à la mauvaise compréhension des instructions ne peut être totalement éliminé ;
- la possibilité d’échapper aux contrôles internes par la collusion d’un membre de la direction ou d’un employé avec d’autres personnes internes ou externes à l’entité ;
- l’éventualité qu’une personne chargée de réaliser un contrôle interne abuse de ses prérogatives, par exemple un membre de la direction passant outre le contrôle ;
- la possibilité que les procédures ne soient plus adaptées en raison de l’évolution de la situation et donc que les procédures ne soient plus appliquées.
Un moyen de se doter d’un système de contrôle interne efficace et performant réside dans la mise en place d’un système de gestion de la qualité. Cela est vrai pour les entreprises, cela l’est également pour les cabinets d’expertise-comptable et de commissariat aux comptes. Pour illustrer notre propos, nous avons repris une démarche de gestion de la qualité adaptée aux cabinets d’audit.
1. Le système de management de la qualité
Le management de la qualité consiste à organiser un cabinet de manière cohérente et rationnelle afin qu’il soit en mesure d’atteindre les objectifs fixés par la direction. La révision régulière à la hausse de ces objectifs permet de situer le cabinet dans une spirale de progrès communément nommée la « boucle d’amélioration continue » :
Planifier > organiser > exécuter > vérifier > améliorer
Pour reprendre une expression célèbre, «la maîtrise de la qualité consiste à organiser le cabinet pour qu’il apprenne chaque jour à faire mieux que la veille et moins bien que le lendemain ».
Le maîtrise de la qualité implique :
- une bonne connaissance des attentes des clients,
- une stratégie claire définie par la direction et déclinée en objectifs suivis,
- la mise en place d’une organisation interne capable d’y répondre, mais aussi, une gestion efficace des ressources matérielles et humaines,
- le respect des normes d’exercice professionnel d’audit arrêtées par le garde des Sceaux (les NEP), des bonnes pratiques émanant de la CNCC et reconnues par le H3C et de la doctrine professionnelle.
Le respect des normes professionnelles assure une qualité technique des prestations fournies en posant le principe de la mise en œuvre de diligences minimum à effectuer avant d’émettre une opinion.
Le management de la qualité est orienté, quant à lui non pas sur les travaux effectués dans les dossiers, mais sur l’organisation interne du cabinet permettant de produire une prestation conforme aux exigences du client et aux règles de la
2. La mise en place d’une norme qualité au sein du cabinet
Au préalable, la qualité doit avoir été retenue comme un élément de la stratégie du cabinet décidée par l’ensemble des associés qui le composent.
Cela implique que tous les associés sont d’accord pour respecter et mettre en œuvre la norme qualité qui sera arrêtée.
Cette phase est indispensable et c’est peut-être ce qui manque le plus au sein des cabinets actuellement.
Normes professionnelles = Qualité de la prestation
Norme qualité = Qualité de l’organisation du cabinet
2.1. Rôle de la direction du cabinet
Le management de la démarche revient alors à la direction du cabinet qui est au cœur du système de la qualité.
Elle doit :
- définir une politique qualité en harmonie avec la stratégie globale du cabinet,
- fixer des objectifs mesurables qui devront être déclinés à tous les niveaux : associés signataires, directeurs de mission, chefs de mission et assistants,
- communiquer cette politique et ces objectifs à tous les collaborateurs,
- mettre à disposition les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés : compétences techniques nécessaires, effectif suffisant, outils opérationnels, documentation à jour,
- mettre en place une politique d’amélioration continue.
La direction doit aussi veiller en permanence à ce que les exigences des clients soient bien comprises par le cabinet et respectées, pour autant qu’elles soient compatibles avec les normes professionnelles. Elle doit également s’assurer de la bonne application du système de management de la qualité au sein du cabinet et que les équipes ne produisent pas de « sur-qualité » au-delà de ce qu’attend le client et de ce qu’exigent les normes professionnelles ; la sur-qualité est une non qualité qui génère un surcoût non facturable.
La direction procédera ou fera procéder à des revues d’application du système pour s’assurer qu’il est respecté et qu’il demeure adapté et efficace.
2.2. Management des ressources
Le cabinet doit organiser la mise en place et le suivi des ressources nécessaires à la réalisation des objectifs, moyens humains et matériels.
2.2.1. Ressources humaines
Le personnel effectuant un travail ayant une incidence sur la qualité du produit doit être compétent sur la base de sa formation initiale et professionnelle, de son savoir-faire et de son expérience.
Le cabinet doit :
- déterminer les compétences nécessaires pour le personnel effectuant un travail ayant une incidence sur la qualité des prestations fournies ;
- pourvoir à la formation ou entreprendre d’autres actions pour satisfaire ses besoins (politique de recrutement) ;
- évaluer l’efficacité des actions entreprises ;
- assurer que les membres de son personnel ont conscience de la pertinence et de l’importance de leurs activités et de la manière dont ils contribuent à la réalisation des objectifs « qualité ».
2.2.2. Moyens matériels
Le cabinet doit déterminer, fournir et entretenir les infrastructures nécessaires pour obtenir la conformité du « produit ». Elles comprennent :
- les locaux, espaces de travail et installations associées ;
- les outils et équipements, matériels et logiciels, associés aux processus ;
- les services supports tels que guide d’audit, logistique et moyens de communication.
2.3. Réalisation de la prestation
Après avoir accepté la mission de commissariat aux comptes selon la procédure prévue à la NEP…, le cabinet doit s’assurer que celle-ci, définie par la loi, est bien comprise du « client » ou qu’elle entre bien dans les missions possibles selon une norme DDL.
Il doit, le cas échéant, gérer les « ressources » ayant une incidence sur la qualité du produit final et produire (mettre en œuvre la mission).
Les NEP « programmation des travaux » et « délégation et supervision » répondent parfaitement aux exigences qualité des cabinets.
La réalisation de la mission passe par plusieurs étapes successives :
- écoute des besoins du client (entretien client, lettre de mission, maintien de la mission);
- conception de la prestation (planification de la mission, définition des équipes) ;
- « achats » éventuels de partenariats nécessaires à la réalisation de la prestation, experts et/ou collaborateurs externes ;
- production de la prestation (programmation des travaux, délégation et réalisation de la mission conformément à sa définition légale ou contractuelle (DDL) et dans les conditions prévues, supervision et rapports) ;
- contrôle de conformité (revue indépendante).
2.4. Mesures, analyses et amélioration
Il n’y a pas de management de la qualité sans un suivi a posteriori de l’application de la politique impulsée par la direction : le contrôle qualité.
Le contrôle de qualité peut se définir comme étant « la politique et les procédures adoptées par le cabinet, afin de s’assurer avec un degré d’assurance raisonnable, que toutes les missions effectuées sont réalisées selon les principes fondamentaux tels qu’ils figurent dans les normes d’exercice professionnel ».
Le cabinet doit donc planifier et mettre en œuvre les processus de surveillance, de mesure, d’analyse et d’amélioration nécessaires pour :
- démontrer la conformité de la prestation (aux normes et règles professionnelles et aux attentes du client),
- assurer la conformité du système de management de la qualité (audits qualité internes ou externalisés),
- améliorer en permanence l’efficacité du système de management de la qualité (surveillance et mesure des processus et des prestations, maîtrise des prestations non conformes).
Les résultats des divers contrôles : satisfaction clients, audit interne, contrôle des processus, contrôle des prestations, conformité des prestations, et les autres sources d’informations (suggestions du personnel) doivent être centralisés et analysés et les indicateurs qualité seront calculés à intervalle défini ce qui permet alors de tenir « le tableau de bord qualité » des prestations fournies : qualité perçue par le client, respect des délais, degré d’implication des collaborateurs, performance du système de planification interne, maîtrise des coûts de production, résultat par mission, mais aussi perte de clients, entrée de nouveaux clients, évolution des honoraires par client…
L’analyse de l’ensemble de ces données doit permettre d’apprécier l’adéquation entre le système de management de la qualité du cabinet et l’évolution des processus de la qualité des prestations rendues. Cette synthèse prépare la revue de direction.
2.5. Actions préventives, actions correctives
Les actions préventives (pour éviter la survenance d’un événement) et correctives (pour empêcher le renouvellement d’une erreur ou d’un dysfonctionnement) sont deux procédures obligatoires dans le système documentaire du management de la qualité. Ces actions s’inspire de l’approche d’audit par les risques (plus le risque est élevé, plus le cabinet doit mettre en place des actions préventives).
Le suivi des non-conformités et des actions mises en place pour y remédier doit nécessairement être effectué afin de vérifier leur efficacité.
Ces actions peuvent également être déléguées à un opérateur externe.
3. Le système documentaire
Pas de management de la qualité sans une gestion de la documentation liée à la qualité (sous toute forme et sur tout type de support).
La documentation du système de management de la qualité doit comprendre :
- l’expression documentée de la politique qualité et des objectifs « qualité » ;
- un manuel qualité ;
- les procédures documentées ;
- les documents nécessaires pour assurer la planification, le fonctionnement et la maîtrise efficaces des processus.
Une « procédure documentée » implique que la procédure soit établie, documentée, appliquée et tenue à jour. L’étendue de la documentation du système de management de la qualité diffère d’un cabinet à l’autre en raison :
- de sa taille et du type d’activités ;
- de la complexité des processus et de leurs interactions.
3.1. Le « MAQ », manuel d’assurance qualité
Le cabinet doit établir et tenir à jour un manuel qualité comprenant :
- les domaines d’application du système de management de la qualité, y compris le détail et la justification des exclusions;
- les procédures documentées établies pour le système de management de la qualité ou la référence à celles-ci;
- une description des interactions entre les processus du système de management de la qualité.
La documentation du système de management de la qualité doit être maîtrisée ; à défaut on ne peut prétendre à la maîtrise de la qualité.
Une procédure documentée implique que la procédure soit établie, documentée, appliquée et sa rédaction actualisée. L’étendue de la documentation du système de management de la qualité diffère d’un cabinet à l’autre en raison :
- de sa taille et du type d’activités,
- de la complexité des processus et de leurs interactions.
Une procédure documentée doit être établie pour :
- approuver les documents quant à leur adéquation avant diffusion ;
- revoir, mettre à jour si nécessaire et approuver de nouveau les documents ;
- assurer que les modifications et le statut de la version en vigueur des documents sont identifiés ;
- assurer la disponibilité sur les lieux d’utilisation des versions pertinentes des documents applicables ;
- assurer que les documents restent lisibles et facilement identifiables ;
- assurer que les documents d’origine extérieure sont identifiés et que leur diffusion est maîtrisée ;
- empêcher toute utilisation non intentionnelle de documents périmés, les identifier de manière adéquate s’ils sont conservés dans un but quelconque.
Pour assurer l’homogénéité des pratiques du cabinet, il faut que la documentation qualité soit « à jour » et que le personnel ait accès aux dernières versions de documentation définie qui constituent leur référence de travail.
3.2. La maîtrise des enregistrements ou documentation des travaux
Les « enregistrements » sont des documents particuliers qui doivent être établis et conservés pour apporter la preuve de la conformité aux exigences et du fonctionnement efficace du système de management de la qualité. Les enregistrements doivent être maîtrisés et rester lisibles, faciles à identifier et accessibles. Une procédure documentée doit être établie pour assurer l’identification, le stockage, la protection, l’accessibilité, la durée de conservation et l’élimination des enregistrements.
Un enregistrement en matière de qualité est un document qui fournit des preuves tangibles des activités effectuées ou des résultats obtenus. Un support est le plus souvent écrit mais peut être conservé sur un support de données. La conservation informatique est donc tout à fait acceptable à condition d’être protégée et accessible à tout moment. Dans les missions de commissariat aux comptes, le dossier des contrôles annuels et le dossier des données permanentes répondent à l’obligation d’enregistrement.
4. La maîtrise de la qualité, une obligation pour les cabinets mais aussi un atout concurrentiel
Nous savons que lorsque l’entreprise a mis en place un système de management de la qualité compatible avec les normes qualité, son système de contrôle interne sera très certainement efficace et que, dans ce cas, le commissaire aux comptes pourra s’appuyer largement sur ce système. Dans le cas contraire, il devra mettre en œuvre des techniques d’audit complémentaires et ne pourra que recommander au dirigeant d’engager une telle démarche.
Symétriquement, les cabinets d’audit ont tout à gagner à s’engager dans une démarche de maîtrise de la qualité ; cela leur permettra d’assurer dans leur propre structure un contrôle interne fiable et ainsi gagner en crédibilité, qualité nécessaire pour conserver les mandats les plus importants ou les plus exigeants.
Cet article a été rédigé à l’aide des ouvrages suivants :
- Référentiel normatif de la CNCC ;
- Appréciation du contrôle interne. CNCC Collection « Notes d’informations » ;
- Guide de lecture de la norme ISO 9001 à l’usage de la profession comptable libérale publié par l’AFNOR et le CSOEC (09/2003) ;
- La norme qualité ISQC1 publiée par l’IFAC;
- Le règlement du H3C sur le contrôle qualité de la profession de commissaire aux comptes.
Glossaire :
CNCC : Compagnie nationale des commissaires aux comptes
DDL : Diligences directement liées à la mission du commissaire aux comptes
H3C : Haut conseil du commissariat aux comptes
NEP : norme d’exercice professionnel
Janin AUDAS est commissaire aux comptes, expert-comptable honoraire, conseil en management et transmission d’entreprise - vice-président du Mouvement ETHIC.
Brigitte GUILLEBERT est commissaire aux comptes, expert-comptable, concepteur et formateur, conseil en gouvernance et comité d’audit – concepteur de la prestation « CQFD-AUDIT»®.