Alors que vient de s’achever le Forum de Davos dont le réchauffement climatique a constitué le thème central, la France vient de consacrer, à travers le décret n° 2020-1 du 2 janvier 2020, la possibilité pour les sociétés commerciales de se doter d’une « mission ».
Ce texte constitue la mise en œuvre d’une disposition de la loi PACTE n° 2019-486 du 22 mars 2019, elle-même issue de la recommandation n° 12 figurant dans le rapport Notat Senard du 9 mars 2018.
Certaines entreprises ont d’ores et déjà fait part de leur désir d’adopter le statut de société à mission. Pour y prétendre, elles sont tenues de se conformer à plusieurs conditions :
- les statuts doivent préciser, outre une raison d’être, les objectifs sociaux et environnementaux que la société entend poursuivre dans le cadre de son activité ;
- ils indiquent également les modalités du suivi de l'exécution de cette mission ;
- une vérification du respect des objectifs devra être faite en interne par un comité de mission (ou, pour les entreprises de moins de 50 salariés, un référent de mission) dans un rapport joint au rapport de gestion ainsi que par un organisme tiers indépendant qui émet un avis dans ce document.
La qualité de société à mission sera publiée au greffe du tribunal de commerce, ce qui permet à l’entreprise de communiquer sur son engagement RSE mais également aux tiers de l’interpeller si son activité ne leur paraît pas s’inscrire pleinement dans le rôle qu’elle s’est assigné statutairement. Si la société ne respecte pas les conditions posées par la loi ou les objectifs qu’elle s’est fixée, le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention « société à mission » de tous les actes, documents ou supports électroniques.
Face à une telle exposition juridique et réputationnelle, il est intéressant de s’interroger sur les circonstances pouvant conduire un dirigeant d’entreprise à proposer l’adoption d’une mission dans les statuts d’une société commerciale. Si l’on en croit les sondages effectués auprès des chefs d’entreprise sur l’opportunité du recours à une raison d’être, on peut supposer qu’outre les entreprises poursuivant une activité d’intérêt général (les ESUS par exemple), la plupart de celles réfléchissant à l’adoption d’une mission y voient une opportunité de valorisation auprès de leurs clients et fournisseurs de leurs démarches en matière sociale et environnementale ou encore un moyen de fédérer les collaborateurs autour d’un projet commun (étude Edelmann Yougov pour Entreprise et Progrès, décembre 2019). L’une des difficultés sera la détermination de repères précis auxquels la société à mission pourra se référer dans le temps pour le suivi de ses objectifs et il y a tout lieu de croire que les organismes tiers indépendants vont devoir mettre à disposition et utiliser eux-mêmes des outils de mesure reconnus et fiables.
Il est trop tôt pour prédire le succès de cette forme ultime et inédite d’engagement citoyen de l’entreprise mais il semble clair que la société à mission a vocation à transformer l’entreprise en profondeur et non à faire office de simple outil de communication. Aussi, les sociétés y recourant ne pourront pas se cantonner à un simple affichage, sous peine de perdre leur appellation, et devront se conformer authentiquement à un suivi de leurs objectifs dans le temps.
Dominique Stucki, Avocat Associé chez Cornet Vincent Ségurel