A l'occasion de la publication du rapport du COPIESAS sur l'épargne salariale, Rolland Nino, Directeur général du cabinet BDO (conseil, audit et expertise-comptable) et membre du groupe de travail sur l'épargne salariale au sein de l'Institut de la Protection Sociale, nous livre son point de vue.
L'Institut de la Protection Sociale estime-t-il globalement que le rapport du COPIESAS va dans le bon sens ?
Le rapport présente certaines avancées intéressantes. Il recommande d’abord de simplifier le cadre de l’épargne salariale, notamment en harmonisant de nombreuses règles de fonctionnement de l’intéressement et de la participation. Il est nécessaire d’accroître la lisibilité de l’épargne salariale car beaucoup de salariés et de chefs d’entreprises n’y comprennent plus rien aujourd’hui.
Le rapport propose par ailleurs d’exonérer de forfait social pendant trois ans les entreprises adoptant un dispositif d’épargne salariale. C’est une bonne proposition, même si au sein de l’Institut de la Protection Sociale, nous préconisons une suppression totale de ce prélèvement. Entre 2008 et 2013, le forfait social est passé de 2% à 20%. En 2013, cela s’est traduit par une décollecte inédite sur les fonds d’épargne salariale. Et dans beaucoup de cas, ce sont les salariés qui ont pris en charge ce prélèvement, qui était déduit de l’épargne distribuée.
En revanche, d’autres mesures proposées sont inopérantes. C’est le cas du livret E pour les TPE. Le volet retraite est peu abordé ; une amélioration du PERCO aurait pu être envisagée comme notamment une transférabilité des dispositifs de retraite.
Approuvez-vous la suppression de la prime de partage des profits ("prime Sarkozy") ?
Oui, tout à fait. Ce dispositif a été créé en 2011 pour les entreprises de plus de 50 salariés, en les encourageant à distribuer une prime de partage de profit à leurs salariés – dont le montant est libre avec un plafond à 1200 euros – quand elles distribuent plus de dividendes que l’année précédente. 4 ans plus tard, le temps a prouvé que ce dispositif n’était pas adapté. L’État anticipait une prime de 700 euros en moyenne. Or, le montant moyen a été de 420 euros en 2011 et n’a pas cessé de diminuer depuis : 270 euros en 2012, 200 euros en 2013, puis 180 euros en 2014. Cette prime n’a pas eu le succès escompté, car les entreprises n’ont pas souhaité la développer. Sa création reposait sur deux postulats erronés : que les dividendes augmentent plus vite que les salaires et que les entreprises préfèrent le dividende à l’investissement. En outre, cette mesure va en contresens de l’épargne salariale : au lieu de nourrir le dialogue social, cette prime a attisé les conflits en pointant du doigt les actionnaires.
Faut-il selon vous abaisser le seuil d'effectif de l'entreprise ou bien, comme le préconise le rapport, exonérer de forfait social les TPE-PME qui mettent en place pour la première fois un dispositif d’épargne salariale ?
Aujourd’hui, il est essentiel de développer l’épargne salariale dans les PME. En effet, seul 1 salarié sur 6 bénéficie de ce dispositif dans les PME, contre 9 sur 10 dans les grandes entreprises.
Exonérer de forfait social les TPE-PME pendant 3 ans est une bonne mesure, mais pour étendre véritablement les dispositifs d’épargne salariale à toutes les entreprises françaises, il faudrait abaisser le seuil de telle sorte que les entreprises utilisent ce dispositif dès le 1er salarié embauché. Un travail de pédagogie et de communication est également nécessaire. Partager les bénéfices, c’est créer une communauté d’intérêts et un espace de dialogue social utile à la pérennité des entreprises.
Une réduction du taux du forfait social pour les entreprises dirigeant l’épargne de leurs salariés vers le financement de l’économie est-elle judicieuse selon vous ?
Au sein de l’IPS, notre priorité est de favoriser l’adoption massive de l’épargne salariale par les TPE et PME. Environ la moitié des fonds de l’épargne salariale est aujourd’hui investie dans des actions. Et sur cette part, les grandes capitalisations sont largement majoritaires. La modulation du forfait social pour les investissements vers les FCPE (Fonds commun de placement d’entreprise) est intellectuellement intéressante mais difficile à mettre en œuvre.
Que pensez-vous de la création d'un "livret E" dans les TPE ?
Ce dispositif risque de se révéler au mieux inutile et au pire risqué. Il existe déjà un compte courant bloqué et rémunéré en matière d’épargne salariale. Avec un blocage de l’épargne des salariés pendant 5 ans, ce livret E n’aurait aucune utilité pour les entreprises ayant de la trésorerie. En revanche, pour les entreprises ayant des difficultés de trésorerie, le déblocage au bout de 5 ans des sommes issues de la participation ou de l’intéressement pourrait être douloureux et mettre l’entreprise en grande difficulté.
Estimez-vous préférable de fusionner les dispositifs de l'intéressement et de la participation plutôt que de se cantonner à une harmonisation de certaines de leurs règles ?
Non, la fusion de l’intéressement et de la participation avait déjà été écartée dans le rapport de 2013 de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) et de l’IGF (Inspection générale des finances), qui a servi de base aux propositions du COPIESAS. En effet, même si au fil des années, ils se sont inscrits en complémentarité, ces deux dispositifs ont des objectifs différents. La participation est un dispositif obligatoire mis en place en 1957, afin de partager les profits de l’entreprise et de créer une épargne dédiée à l’investissement dans l’entreprise. L’intéressement est un dispositif facultatif mis en place en 1959 afin d’associer les salariés à la performance de l’entreprise et de développer ainsi le dialogue social.
L'Institut de la Protection Sociale a-t-il des propositions complémentaires à communiquer ?
Afin d’étendre l’épargne salariale à toutes les entreprises, il faut aller plus loin dans la simplification des dispositifs, supprimer totalement le forfait social, développer la pédagogie auprès des TPE et PME, créer une transférabilité et une fluidité interdispositifs de retraite et enfin, stabiliser le cadre juridique et législatif. La réforme à venir doit fixer un cadre incitatif durable à l’épargne salariale.
Propos recueillis par Pascale Breton
Biographie
Directeur général de BDO (conseil, audit et expertise comptable), Rolland Nino accompagne de nombreuses entreprises dans leurs problématiques fiscales et sociales. Il est également membre permanent du conseil d'orientation scientifique de l'Institut de la Protection Sociale, un think tank qui agit comme un laboratoire d'idées pour toutes les questions liées à la protection sociale de l'entreprise. Dans ce cadre, Rolland Nino est le rapporteur du groupe de travail dédié à l'épargne salariale.