Lors d'une table ronde à Lyon, plusieurs chefs d'entreprise et recruteurs ont analysé l'impact de la transformation digitale sur les directions financières. Cet événement était organisé par Walter France et animé par Christophe Velut, Directeur général associé Orfis, membre de Walter France en région Rhône-Alpes, en partenariat avec la DFCG et BSI Economics.
Les directions financières sont particulièrement concernées par la transformation digitale, au sein même de leur service avec l'automatisation accélérée des tâches de comptabilité, mais surtout par le fait qu'elles sont totalement impliquées dans l'interconnexion et le traitement de toutes les données de l'entreprise, de plus en plus fiables et obtenues plus rapidement.
La recherche de compétences pour traiter l'information
La transformation digitale bouleverse les pratiques et les usages. Les challenges sont nombreux et ils sont vitaux. L'enjeu consiste à générer de l'information fiable et interprétable. Désormais, c'est moins l'expertise technique que la capacité d'une personne à comprendre les données, à les traiter et à les analyser qui est valorisée. De plus, les outils évoluent tellement vite que leur obsolescence devient un véritable problème, de même que celle des compétences des équipes les maîtrisant à un instant t.
La fonction financière directement impactée par la digitalisation
Au sein des entreprises et plus particulièrement des directions financières, la transformation digitale recouvre de nombreux aspects. Au-delà de l'automatisation de la saisie comptable, citons par exemple :
- la mise en place d'une politique de déplacement co-gérée avec l'agence de voyage ;
- un outil de gestion des temps davantage automatisé pour la gestion des congés, des absences et couplé avec le logiciel de paie ;
- et surtout, des prévisions de business actualisées en permanence, avec des tableaux de bord permettant d'avoir le chiffre d'affaires par pays, par région, par commercial, par produit, par taille de client, par secteur d'activité...
Ce qui explique que la direction financière, au cœur de ces flux de données de toute l'entreprise, joue un rôle stratégique de plus en plus reconnu. Pour Pierre-Yves Hentzen, Président de Stormshield, une entreprise spécialisée dans la sécurité des réseaux et des données, « il est clair que la transformation digitale, par la qualité et la rapidité de l'information business qu'elle permet de produire, influe sur notre stratégie ».
L'amélioration de la performance de son service financier permet également de réduire considérablement l'écart entre les prévisions d'atterrissage et le résultat final. Si cet écart allait jusqu'à atteindre 25 % il y a quelques années, pouvant engendrer une perte de confiance de la direction, ce n'est plus le cas aujourd'hui. De plus, son bilan est désormais « bouclé » le 8 ou 9 janvier, alors qu'auparavant il l'était en mars ou avril. Le « fast close » est devenu réalité, avec un avantage secondaire non négligeable : le service finance est désormais au diapason temporel de l'activité de l'entreprise qui, elle, au premier janvier, attaque la nouvelle année.
Philippe Brun, Directeur financier chez Serge Ferrari, concepteur, fabricant et distributeur de membranes composites souples, est quant à lui également Directeur général délégué. Quelle meilleure preuve de l'importance stratégique de la fonction finance !
La réalisation d'économies n'est pas un objectif mais une conséquence
Chez Stormshield, au sein de la direction financière, les achats sont comptabilisés et mis en paiement automatiquement et de manière sécurisée, ce qui représente l'équivalent d'un poste à temps plein, soit 50 000 euros reportés sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. La gestion des frais de déplacement se fait automatiquement. Sans avoir une politique volontariste de réduction des coûts, le simple fait d'implémenter les plafonds de dépenses par nature, de contrôler la réservation des premières ou deuxièmes classes, etc. a généré une économie de 25 000 euros par an. Quant aux approvisionnements, mieux maîtrisés et plus finement anticipés, ils ont permis de réduire les stocks de 11 à 7 millions d'euros en un an et demi.
La direction financière participe au pilotage des projets digitaux
Les pilotages sont souvent réalisés par les fonctions métiers ou par les services informatiques. Toutefois, la direction financière apporte systématiquement son expertise et sa rigueur, afin de s'assurer que le coût des projets de transformation digitale est maîtrisé. Rétroactivement, il est extrêmement important de s'assurer que le résultat attendu au début du projet, qui a entraîné des investissements lourds, est bien là. Un autre risque auquel les entreprises sont confrontées est l'empilage de solutions au fur et à mesure que les années passent : le rôle du directeur financier sera de prendre de la hauteur et de s'assurer de la cohérence, dans le temps, des solutions à disposition.
Pour Pierre-Michel Becquet, économiste analyste chez BSI Economics, la fonction de digital transformation officer se situe entre la finance et la gestion des risques, et doit être pilotée par la direction générale.
Améliorer et uniformiser l'information
L'un des principaux bénéfices de la transformation digitale est d'améliorer le confort de travail, la qualité de l'information et sa fiabilité. Pour Philippe Brun, le master data manager doit être capable de vérifier que l'on parle le même langage partout dans l'entreprise, lorsque l'on traite les informations relatives aux clients, aux produits, aux fournisseurs...
Les entreprises, au début de la transformation numérique, disposaient de logiciels pour la comptabilité, la fonction commerciale, etc. qui fonctionnaient correctement mais en silos. Elles sont ensuite passées aux ERP, qui avaient pour ambition de gérer l'ensemble des services de l'entreprise. Mais à un certain stade, ceux-ci atteignent à leur tour leurs limites car ils ne peuvent être performants pour tout. La tendance est désormais à l'implémentation de modules additifs spécialisés autour de l'outil principal, avec une exigence extrême : la parfaite interconnexion entre eux et l'unification absolue de la donnée.
Pour Pierre-Michel Becquet, la rigueur de l'uniformisation s'impose d'autant plus en cas de rachat d'entreprise qui engendre une lourde mise en cohérence et une intégration forte.
Générer davantage de marges et de cash, tel est l'objectif de Philippe Brun chez Serge Ferrari. Les clients veulent des informations sur les produits et les services, accessibles en permanence, à jour, dans leur langue, alors que celles-ci sont de plus en plus complexes. La digitalisation permet d'unifier progressivement les indicateurs clés (Key Performance Indicators) des acquisitions réalisées par le groupe.
Pierre-Yves Hentzen, quant à lui, connaît ses prévisions de chiffre d'affaires à trois mois, à un an, la précision des indicateurs remplaçant avantageusement la technique du « doigt mouillé ».
La résistance au changement se règle par la communication
L'expérience des dirigeants intervenus lors de cette table ronde est similaire : pour rassurer les salariés quant à leurs craintes sur d'éventuelles suppressions de postes, rien ne vaut une bonne communication en amont. La réduction des effectifs des fonctions support est mieux acceptée lorsque ce sont uniquement des départs qui ne sont pas remplacés et surtout lorsque les salariés accèdent à d'autres fonctions, comme celle de comptable qui consacre désormais son temps à faire des analyses et des reportings utiles aux autres services de l'entreprise.
Les projets de transformation digitale sont également une formidable occasion de mixer les équipes, de les faire travailler ensemble et de casser les silos pour étudier quels seront les différents traitements, utiles à tous, d'une même information. Avec, à la clé, une meilleure compréhension de la gestion de l'entreprise. Les efforts de pédagogie des directions financières sont ainsi enfin récompensés...
Il est à noter que dans le financement des projets, les entreprises sous-estiment trop souvent deux postes : celui dédié à l'accompagnement humain pour la gestion du changement et celui de la sécurité des données. Car cette digitalisation, en rendant les systèmes d'information plus accessibles à tous, élargit la surface d'attaque pour les cyberattaquants. C'est donc en amont que les questions de cybersécurité doivent être traitées.
Les soft skills à l'honneur
Les qualités humaines nécessaires pour mener à bien ou participer à ce genre de projet peuvent devenir plus importantes que l'expertise métier. Pour Samuel Bizouard, recruteur pour les fonctions finance et comptabilité chez Hays, l'attractivité de l'outil utilisé dans une entreprise (logiciel ou système d'information) est un facteur important de choix chez les candidats. Mais s'ils sont déçus, ou même s'ils estiment simplement qu'ils se sont assez formés, les salariés issus de cette nouvelle génération n'hésitent pas à quitter l'entreprise quelques mois après. A l'inverse, une bonne gestion de projet, une méthode agile, où l'on avance progressivement, de manière constructive, sera de nature à attirer les meilleurs profils et surtout à les retenir.
Côté recruteurs, au départ, l'un des critères d'embauche reste la maîtrise de l'outil utilisé au sein de l'entreprise, même si in fine il ne sera finalement pas déterminant : c'est ce critère auquel les recruteurs renoncent le plus rapidement, pour s'orienter davantage vers la dimension métier.
Le directeur financier, un super data scientist ?
Pour Pierre-Michel Becquet, le directeur administratif et financier ne sera jamais ni statisticien, ni data scientist. En revanche, il devra s'entourer de ces nouveaux profils et travailler de plus en plus étroitement avec eux.
Christophe Velut a clôturé la table ronde en insistant sur la nécessaire implication des directions financières dans la stratégie de l'entreprise et sur le rôle primordial qu'elles ont à jouer dans la digitalisation de la fonction finance et de l'entreprise globalement.