Avec le départ à la retraite de Jean-Pierre Letartre annoncé pour fin juin 2019, Eric Fourel, actuellement Managing Partner d’EY Société d’Avocats et Responsable Marchés pour la région WEM, accédera prochainement à la Présidence d’EY en France. Il revient sur cette nomination, son parcours, sa vision pour la firme et les grands axes de son action à venir.
Jean-Pierre Letartre prendra sa retraite fin juin 2019. Vous serez alors Président d’EY en France et Alain Perroux deviendra Managing Partner de la région WEM. Pourquoi cette « succession bipartite » ?
Les différentes entités du réseau EY en France ont rejoint depuis le 1er juillet 2017 cette grande région WEM (Western Europe & Maghreb) qui regroupe les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, les pays du Maghreb mais aussi dorénavant les pays d’Afrique francophone. Au total, avec la France, c’est un ensemble qui pèse plus de 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires, auquel s’ajoute plus de 800 millions d’euros de CA exporté au sein du réseau mondial d’EY.
Avec près de 600 associés et plus de 12 000 collaborateurs, c’est un ensemble absolument considérable et les enjeux d’intégration de ces différents pays, les synergies qui peuvent en être tirées, comme également sa représentation au sein du réseau EMEIA et mondial d’EY, justifient qu’une seule personne ne peut plus cumuler les deux rôles. Deux acteurs d’une même équipe sur les fonctions régionale et nationale sont aujourd’hui un bien meilleur gage de réussite, face aux difficiles questions de transformation auxquelles nous allons devoir répondre demain.
Quel est votre sentiment sur votre nomination à la Présidence d’EY en France ?
J’éprouve d’abord un sentiment d’immense fierté et de gratitude à l’égard de mes associés EY en France qui ont souhaité, au-delà de leurs différents métiers d’appartenance, que je sois celui qui les représente vis-à-vis de l’ensemble des acteurs de nos marchés. Je dois bien avouer que je ressens aussi une certaine angoisse face à l’ampleur de la responsabilité et l’immensité de la tâche. Je compte sur toutes les énergies que j’espère pouvoir fédérer autour de moi, car la réussite dépendra bien davantage de la dynamique positive que notre collectif saura enclencher que de la volonté d’un seul homme.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
J’ai débuté ma carrière en 1987, immédiatement à la sortie de Sciences Po Paris, en rejoignant, plutôt par hasard, le département fiscal de notre réseau pluridisciplinaire. Plus de trente ans après, je suis resté fidèle au même cabinet même s’il a connu plusieurs bouleversements.
Je me définis toujours avant tout comme un fiscaliste et je conserve une forte implication client. J’ai gravi tous les échelons traditionnels du cabinet et suis devenu associé en 1996. En 2003, nous avons traversé une crise profonde à la suite de la loi de sécurité financière, qui nous a interdit de réaliser des prestations de conseil auprès des clients pour lesquels notre réseau intervenait en qualité de commissaire aux comptes. C’est à ce moment-là que j’ai pris la direction du cabinet d’avocats en France et je ne l’ai plus quittée. Nous avons dû assurer un retournement global de notre portefeuille client. Le temps est passé comme un éclair et je ne me suis jamais lassé de piloter cette structure.
En 2017, au moment de la création de notre grande région WEM, Jean-Pierre Letartre m’a demandé de prendre également la responsabilité de l’animation Market, c’est-à-dire de conduire nos actions de développement vis-à-vis de l’ensemble des clients de la firme prise dans sa globalité. C’était pour moi la première fois que j’assumais un rôle réellement pluridisciplinaire et c’est un très beau challenge dont je suis encore loin de maîtriser tous les paramètres. Dorénavant, la pluridisciplinarité va devenir mon seul apanage et j’en serai à la fois l’acteur et le symbole sur le marché français.
Quelle est votre vision, votre ambition pour EY en France ?
Nous sommes au cœur de certaines évolutions fondamentales du monde économique et géopolitique et les changements induits sont autant d’opportunités majeures pour nos métiers.
L’exigence d’une croissance responsable, laquelle est encore en devenir et qui ne manquera pas d’être de plus en plus prégnante au cours des années qui se profilent, notamment sur le terrain environnemental mais aussi sur celui de la transparence et de l’éthique sociale et financière, appelle tout naturellement des modifications profondes de notre manière d’aborder nos activités de conseil en matière de performance. Elle appelle également une approche plus qualitative de l’audit des comptes des entreprises.
La complexité grandissante des régulations en tous genres – RGPD, règles anti-corruption et anti-blanchiment, lutte contre l’évasion fiscale… – qui tendent à multiplier les sanctions et à imposer le déploiement de procédures lourdes, va nécessiter sur le plan de l’audit, davantage de contrôles et sur le plan du conseil, la capacité à maîtriser toutes les facettes et les étapes de conduite du changement induit au sein des entreprises.
Dans les deux cas, le recours à des experts hautement qualifiés va s’avérer encore plus incontournable et c’est pour cela que je crois que la séparation totale des métiers de l’audit et du conseil engendrerait des risques considérables. Elle nous priverait de la capacité d'attirer les meilleurs et entraînerait inexorablement une perte de pertinence, dont le marché dans son ensemble serait la première victime, du fait de l’affaissement corrélatif de la qualité de l’audit et de celle des activités de conseil, qui seraient privées de l’expérience acquise par nos réseaux.
Symétriquement, l’accélération de la transformation digitale agit aussi comme un multiplicateur sans réel précédent de nos compétences et un moteur incroyable de refonte des modes de délivrance de nos services, où l’automatisation de toutes les fonctions de routine permet de libérer les énergies et de les orienter réellement vers la création de valeur.
Cette vision est probablement commune à tous les grands acteurs des firmes pluridisciplinaires et je ne prétends pas en être le détenteur unique. En revanche, mon ambition pour les métiers d’EY en France est, elle, absolument personnelle et je suis persuadé que nous serons les seuls à pouvoir atteindre à un horizon de cinq années les objectifs d’excellence que nous allons nous fixer.
Du fait de la rotation obligatoire des mandats, EY ne sera plus dans les prochaines années le premier cabinet d’audit en France par le nombre de mandats. En revanche, par l’avance que nous avons prise en matière de traitement des données structurées et non structurées, et que nous allons accentuer grâce à nos investissements technologiques, nous deviendrons le premier cabinet d’audit par la réputation. De même, nous avons déjà une place de référence parmi les grands cabinets de conseil et sommes probablement l’un des seuls acteurs à pouvoir décliner une approche qui couvre tout le spectre de services : de l’architecture d’une vision stratégique à la mise en place des procédures internes.
L’ambition est donc simple : nous voulons être le premier cabinet pluridisciplinaire en France par sa réputation en matière de qualité et atteindre un meilleur équilibre entre notre branche conseil et notre branche audit.
Quels seront les grands axes de votre action lorsque vous accéderez à la Présidence de la firme ?
Afin d’atteindre cet objectif, mon action en qualité de Président d’EY en France va s’articuler autour de quatre axes principaux.
Tout d’abord, continuer d’investir dans des compétences nouvelles, en particulier technologiques, pour creuser l’écart dont nous profitons sur le terrain de l’innovation.
Ensuite, accentuer notre approche pluridisciplinaire vis-à-vis de nos clients en déployant des offres véritablement multi-compétences. Nous disposons déjà de nombreuses solutions qui reposent sur des équipes alliant plusieurs métiers. En écoutant encore davantage nos clients pour appréhender finement leurs besoins, la grande majorité de nos solutions devraient devenir pluridisciplinaires, car les enjeux de nos clients sont par définition pluridisciplinaires.
En troisième lieu, ordonner notre action de manière harmonieuse. L’une des difficultés des organisations complexes comme les nôtres est de s’assurer que chacun a la meilleure connaissance possible des ressources du réseau et que l’on évite les réplications inutiles comme les autres pertes d’efficience. Tout comme pour l’Etat, il y a urgence à identifier certaines pistes de simplification, même s’il restera toujours une part incontournable d’hyperstructure dans nos organisations ultra-régulées de dimension mondiale.
Enfin, préparer la future génération de leaders. L’un des principaux enseignements de la succession de Jean-Pierre Letartre, qui a été planifiée à l’avance et qui a été organisée autour d’une transition progressive, est que l’émergence d’une pépinière de talents capables de reprendre collectivement les rênes s'avère absolument indispensable et que cela prend du temps. Il faudra s’y atteler d’entrée de jeu.
Propos recueillis par Hugues Robert