Xerfi vient de publier une étude sous le titre : « Reporting extra-financier : la révolution CSRD - Quel potentiel et stratégie pour les auditeurs, cabinets de conseil et fournisseurs de bilan carbone à l’horizon 2029 ? » Trois questions à Alexis Jouan, directeur d’études chez Xerfi et auteur du rapport.
Quel peut être l’impact de la directive CSRD, validée cet été par Bruxelles, sur le marché du reporting extra-financier ?
Toujours en cours de finalisation, la réforme de la CSRD aura un impact considérable. L’entrée en vigueur progressive de cette directive du 1er janvier 2024 au 1er janvier 2028 concernera 8 000 entreprises en France et près de 50 000 en Europe à terme. Dans l’Hexagone, le marché de l’audit de durabilité (un segment du reporting extra-financier) sera multiplié entre deux et quatre d’ici 2029. Et le boom du marché sera encore plus important à l’échelle de l’Union européenne. Contrairement à la France, d’autres Etats membres n’ont en effet pas jusqu’ici imposé la certification des rapports extra-financiers. Le nombre d’entreprises soumises à cette obligation augmentera donc particulièrement dans lesdits pays. Dans ces conditions, nous estimons que le marché de l’audit extra-financier pèsera en 2029 entre 400 et 600 millions d’euros dans l’Hexagone pour grimper de 2,5 à 3,5 milliards d’euros à l’échelle de l’Europe.
L’application de la CSRD dopera également la demande adressée aux cabinets de conseil et agences de communication accompagnant les entreprises dans la réalisation de leur rapport de durabilité. Mais aussi celle adressée aux éditeurs de logiciels proposant des outils pour mesurer et suivre les performances extra-financières. Seule une minorité de sociétés utilise en effet aujourd’hui ce type de solutions, beaucoup leur préférant encore un tableur Excel. Les auditeurs devraient jouir d’un certain pricing power dans les premiers temps de l’application de cette contrainte réglementaire qui entraînera des surcoûts (interventions plus techniques, attentes accrues des autorités en matière de qualité des audits...).
Ceci dit, l’impact réel de la directive CSRD sur le marché du reporting ESG est encore flou. En effet, deux grandes incertitudes demeurent entre l’ampleur des obligations imposées aux entreprises et l’exigence vis-à-vis des audits. Or, elles auront une incidence directe sur la taille du marché du reporting extra-financier.
Quels sont les acteurs les mieux placés pour s’imposer face à cette nouvelle donne ?
La plupart des acteurs déjà présents dans l’audit extra-financier sont des professionnels du chiffre. Les Big Four, leurs principaux challengers (Mazars et Grant Thornton) ainsi que d’autres grands noms de l’audit et expertise comptable (BDO, Exco...) disposent par exemple du statut d’OTI (organisme tiers indépendant). Quelques organismes de certification (dont les leaders Bureau Veritas, SGS et Socotec) interviennent également sur le marché. Tout comme le cabinet DS Avocats ou l’agence de communication Backbone Consulting. Des acteurs de petite taille (comme par exemple Impaccct) sont eux spécialisés dans l’audit ESG.
En réalité, les commissaires aux comptes sont les mieux placés pour s’imposer dans la certification des rapports de durabilité, qui présente d’importantes synergies avec leur cœur de métier. C’est d’autant plus vrai qu’il s’agit de la seule profession qui n’aura pas besoin d’être accréditée par le Cofrac. Les experts-comptables devront en revanche composer avec une configuration moins favorable. Ils se heurteront à des barrières à l’entrée plus élevées. En raison de leurs ressources financières et moyens humains, les grands cabinets et réseaux de l’audit et expertise semblent mieux armés que leurs homologues de taille plus modeste.
Les grands de la certification pourront, de leur côté, faire valoir plusieurs atouts pour se faire une place sur ce marché : compétences en vérification de process et protocoles, légitimité pour agir comme évaluateur indépendant ou encore connaissances techniques liées à l’environnement. Pour les avocats, cette possible nouvelle activité suppose de lever les doutes sur de potentiels conflits d’intérêt avec les autres missions de la profession. Du côté des prestataires et outils qui permettent de réaliser les rapports ESG, nous pouvons par ailleurs remarquer que les périmètres d’activité des différents profils d’acteurs des phases « amont » du reporting extra-financier se recoupent de plus en plus. Un constat qui s’explique en partie par les stratégies de guichets uniques de ces opérateurs.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur ces stratégies de guichets uniques ?
Les périmètres d’intervention sur les phases amont des acteurs du conseil et des agences de communication sont de plus en plus poreux, en raison entre autres de leurs stratégies d’élargissement de l’offre. Les premiers tentent notamment d’accroître leur expertise sur les problématiques autour du suivi de la performance ESG, en rachetant par exemple des fournisseurs de logiciels ou en s’associant avec ces derniers mais aussi en développant en interne ce type de produits. BCG s’est ainsi allié à SAP pour mettre à la disposition de ses clients un outil mesurant l’efficience RSE de leurs chaînes d’approvisionnement. Pour les agences de communication, il s’agit de remonter la chaîne de valeur pour renforcer leurs positions sur les étapes précédant la réalisation du rapport et la communication autour de celui-ci.
L’objectif de telles stratégies est de proposer davantage de services pour capter une plus grande part de la demande et apparaître incontournable aux yeux des clients. Les éditeurs de logiciels de bilan carbone s’attellent eux à transformer leur offre. Ils cherchent alors à commercialiser des solutions de gestion du reporting ESG au sens large. A l’évidence, la volonté de capter au maximum les opportunités d’affaires générées par la directive CSRD n’est pas étrangère à ces démarches.