Une tribune de Johanne Mauchand, avocate en droit social, cofondatrice de Neptune AARPI et Catherine Sauvat, consultante en management, présidente d’Emerize.
Télétravail, full remote, flex office, desk sharing, semaine de quatre jours : beaucoup d’anglicismes pour de nouvelles organisations du travail.
Entre les jeunes générations qui veulent du sens au travail, de la flexibilité, de l’autonomie et de la mobilité et la crise sanitaire, les nouvelles organisations se sont accélérées mais sont-elles en train de révolutionner le monde du travail ou sont-elles des tendances passagères ?
Chacune de ces nouvelles formes d’organisation du travail présente des avantages et des inconvénients : reste à chaque entreprise de trouver celle qui lui convient le mieux et qui répond aux attentes des jeunes recrues.
Les nouvelles organisations du travail
Le télétravail permet la réduction des temps de trajet, l’augmentation de la productivité, la diminution du stress et donc de l’absentéisme.
Les risques sont que le poste de travail ainsi que l’environnement ne permettent pas un télétravail efficient, un risque d’isolement et une augmentation des risques liés à la cybersécurité sans oublier l’investissement nécessaire dans des outils collaboratifs.
Le full remote, c’est la fin des locaux : les collaborateurs travaillent de chez eux ou à partir d’espaces de coworking permettant ainsi à l’entreprise de faire l’économie de locaux, d’avoir des collaborateurs plus épanouis, productifs et sans contrainte en termes de transports.
Mais le risque quand le full remote se traduit par un télétravail à domicile, c’est l’absence de frontière entre vie personnelle et vie professionnelle et le manque d’interactions sociales qui peut engendrer des troubles psychologiques.
Le desk sharing consiste à ne pas attribuer de bureau.
Avec la généralisation du télétravail et l’émergence de nouveaux modes de travail (plus de réunions, travail en mode projet, etc.), le desk sharing est de plus en plus adopté par les entreprises, à mesure que le taux d’occupation des locaux diminue d’année en année.
Aussi, la culture de la hiérarchie avec le privilège du bureau tend à disparaître.
Le desk sharing favorise le travail collaboratif, un esprit d’entreprise renforcé et des économies au vu de la diminution des superficies utilisées mais attention à la perte de repères inhérente à ce mode d’organisation et au côté impersonnel du lieu de travail.
Le flex office : c’est comme le desk sharing mais avec en plus des espaces que chaque collaborateur pourra utiliser en fonction de ses besoins ou envies.
En plus de permettre une optimisation financière des locaux, le flex office permet aux collaborateurs de s’installer dans des espaces adaptés à leurs besoins favorisant ainsi la collaboration, la créativité pour plus d’innovation et donc une meilleure productivité.
La semaine de quatre jours : travailler quatre jours par semaine en maintenant son salaire : le rêve d’un français sur deux selon une étude de l’ADP de 2019.
Une étude plus récente du groupe Manpower indique que plus d’un salarié sur trois serait même prêt à diminuer son salaire de 5 % en échange d’une semaine de quatre jours !
Les entreprises ayant mis en place cette nouvelle organisation ont vu l’impact positif sur le bien-être des collaborateurs et sur la productivité.
Toutefois, il faut une organisation personnelle qui permette de faire des journées un peu plus longues sans parler de la nécessité pour l’entreprise de repenser son organisation pour assurer le roulement.
Mais quel que soit le mode d’organisation choisi, réorganiser son entreprise sans repenser le management pour l’adapter, augmente considérablement le risque d’échec.
En effet, ces organisations nécessitent un management participatif ou par l'« empowerment » des collaborateurs afin de concilier croissance et bien-être au travail en libérant les potentiels, en innovant et en étant toujours plus agile.
En effet, dans un contexte de plus en plus incertain, ce sont généralement les entreprises faisant preuve de plus d’agilité qui s’en sortent le mieux.
Pourquoi cette agilité est-elle nécessaire, incontournable ?
Actuellement, les dirigeants appartiennent à la génération des babyboomers et de la génération X. Ces deux générations partagent peu ou prou la même vision de la fameuse « valeur travail » : sens de l’autorité, respect de la hiérarchie, acceptation de l’accroissement de l’intérêt d’un poste au fur et à mesure de l’expérience acquise, appartenance à son lieu de travail – voire à son bureau, perçu comme un marqueur de l’importance des responsabilités – et construction d’une carrière conçue comme une valorisation sociale.
Le décalage de ces valeurs avec celles des générations Y ou Millenials et Z ou Digital Natives conduit à des difficultés de cohabitation dans l’entreprise. Qu’entend-on beaucoup ? Ils sont impatients, instables, insolents, infidèles, etc.
Sans faire de généralités, voici quelques caractéristiques :
- La révolution internet a remis en cause la verticalité de l’autorité. L’information étant gratuite, accessible à tout le monde, à tout moment, l’autorité doit trouver une autre légitimité que celle de transmettre un savoir.
- Ce seraient des « enfants rois » peu préparés aux difficultés, aux duretés de la vie professionnelle... Ils ont donc besoin d’un accompagnement important.
- Ils sont marqués par l’injustice du chômage de leurs aînés en période de crise économique. Ils ne visent donc pas une carrière rectiligne dans une seule et même entreprise.
- L’allongement de l’espérance de vie et du nombre d’années de cotisations avant la retraite – sujet ô combien d’actualité – leur fait percevoir leur vie professionnelle comme un long chemin à parcourir. Ils privilégient donc le présent, et notamment l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
- Ils sont connectés depuis très jeune avec le monde et se sentent concernés par les enjeux contemporains : l’environnement et les sujets de société (égalité, diversité, etc.). Ils veulent donc une structure professionnelle qui partage leurs valeurs.
- L’influence des jeux vidéos ou de la consultation incessante des réseaux sociaux est également intéressante à caractériser. Michel Serres (notamment dans son livre « Petite poucette ») avance l’idée que cela rend très agile, rapide – voire dispersé, avec du mal à se concentrer – et – point intéressant – décomplexé face à l’erreur.
- Ils sont habitués à une société de services où on achète, on commande tout en un clic. Ils attendent par conséquent la même réactivité, instantanéité, spontanéité dans les rapports humains et notamment de la part de leur employeur.
L’entreprise doit donc mettre en avant trois notions incontournables pour ses nouvelles recrues :
- La communication (dans les deux sens : ascendante en étant à l’écoute des collaborateurs, descendante par davantage de transparence et de partage sur les résultats, les perspectives, et les projets du cabinet).
- L’expérience (transmission d’expérience via un management axé sur les « soft skills ») aussi bien que les expériences (richesse du parcours au sein du cabinet, valorisations des compétences acquises notamment).
- Le sens de notre action collective, les valeurs du cabinet (via notamment la RSE).
Il nous semblait évident lorsque nous avons commencé à travailler qu’il nous appartenait de nous adapter aux règles et modes de fonctionnement du cabinet ou de l’entreprise que nous avions intégré. Aujourd’hui, la situation est inverse, il appartient aux structures professionnelles de modifier leurs pratiques pour s’adapter aux jeunes collaborateurs et leur proposer une expérience professionnelle attractive.
Nul doute que la liberté et la créativité de ces nouvelles générations bousculent... Faisons-en une opportunité et une force pour le futur et le dynamisme de nos structures !