Une tribune de Jean-François Defudes, Avocat Associé chez Delsol Avocats, et François Lacas, Directeur des opérations adjoint chez Yooz.
Après avoir préparé le terrain pendant deux ans, le gouvernement a adopté le 15 septembre dernier une ordonnance qui précise les modalités du passage obligatoire à la facturation électronique. A la demande des professionnels, la date fatidique a été repoussée de dix-huit mois, mais le calendrier est désormais irrévocable : le 1er juillet 2024, toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, devront être en capacité de recevoir des factures électroniques et le 1er janvier 2026, plus aucune facture ne devra s’échanger en dehors du cadre normalisé qui va progressivement se mettre en place d’ici là. Ces dates peuvent apparaître lointaines, mais pour adoucir la transition, s’épargner les affres de l’urgence et surtout profiter sans attendre des bénéfices de la facturation électronique, mieux vaut anticiper dès maintenant que l’on soit une petite, moyenne ou grande entreprise, ou un cabinet d’expertise comptable.
La réforme engagée par la France s’inscrit dans une tendance mondiale qui a débuté il y a une quinzaine d’années en Amérique du Sud. Afin de mieux recouvrer et contrôler la TVA, de nombreux pays cherchent à mettre en place un mécanisme permettant de la déclarer au fil de l’eau, au fur et à mesure des ventes, et non en bloc, à échéances fixes. L’une des façons de mettre en œuvre ce principe, baptisé CTC (contrôle transactionnel continu) est ce qu’on appelle le clearance, c’est-à-dire la pré-validation des factures par l’administration avant leur envoi au client. Plusieurs modèles de clearance existent de par le monde, mais tous ont recours à la facture électronique, sans laquelle un tel processus de vérification préalable deviendrait rapidement un enfer administratif.
Pour élaborer son propre système, la France a pu bénéficier du retour d’expérience de pays pionniers tels que le Mexique ou l’Italie. Un rapport de la DGFIP publié en novembre 2020 en traçait les contours et le gouvernement vient donc de dévoiler ses grands arbitrages, qui devront cependant être précisés au cours des prochains mois sur divers points techniques. Afin de répartir la charge et d’éviter les risques d’une centralisation excessive, la transmission des factures électroniques s’effectuera soit via un portail public de facturation (PPF), soit via des plateformes partenaires de dématérialisation (PDP), privées et immatriculées, qui assureront les contrôles et transmettront les informations nécessaires à l’administration fiscale. Pas question pour autant de créer une boîte noire et des délais supplémentaires entre vendeur et acheteur : le texte prévoit un suivi pas à pas du processus du dépôt de la facture jusqu’à son paiement, donnant ainsi davantage de visibilité aux deux parties.
Par ailleurs, parallèlement à cette obligation de faire transiter les factures entre assujettis à la TVA par ces nouveaux intermédiaires (e-invoicing), s’ajoutera celle de déclarer électroniquement les transactions hors périmètre (e-reporting) : encaissements, ventes aux particuliers (B2C) et transactions interentreprises (B2B) internationales. Avec ce double dispositif, l’objectif de l’administration fiscale est de pouvoir, à terme, pré-remplir les déclarations de TVA comme celles de l’impôt sur le revenu.
Pour les vendeurs, la première conséquence est qu’ils devront produire toutes leurs factures dans l’un des formats normés acceptés par le PPF (a priori XML UBL, UNCEFACT CII et Factur-X) ou, le cas échéant, dans un format tiers (EDIFACT, variants d’UBL...) que leur PDP saura prendre en charge et convertir. A noter donc que le format PDF simple ne sera plus autorisé et le papier encore moins, et cela pour toutes entreprises, jusqu’aux auto-entrepreneurs. Sur ces factures devront par ailleurs figurer de nouveaux éléments, comme l’adresse de livraison, le numéro SIREN du client ou la nature de l’opération. Autant d’informations dont les entreprises devront par conséquent disposer dans leurs bases de gestion. Ces obligations s’imposeront progressivement, d’abord aux grandes entreprises le 1er juillet 2024, puis aux ETI le 1er janvier 2025 et enfin aux PME, artisans, professions libérales et indépendants le 1er janvier 2026.
Quant aux acheteurs, ils auront l’obligation d’accepter les factures électroniques aux formats normés dès le 1er juillet 2024, et cela quelle que soit leur taille ou leur activité. Et puisqu’ils comptent presque certainement des grands groupes parmi leurs fournisseurs (pour l’énergie ou la téléphonie, par exemple), ils en recevront ! Comme il serait contreproductif d’imprimer ces factures pour les traiter ensuite, et que la question de l‘original de la facture justifiant le droit à déduction en matière de TVA va se poser, cela veut tout simplement dire que toutes les entreprises vont devoir se doter d’un outil capable de traiter automatiquement les flux de la facturation électronique.
Bonne nouvelle : les formats retenus par le gouvernement pour le PFF sont d’ores et déjà pris en charge par la plupart des outils. Il est donc possible de s’équiper dès aujourd’hui avec la certitude de pouvoir aisément s’interfacer au dispositif aussitôt qu’il sera opérationnel.
D’ici là, il reste toutefois quelques points à régler, notamment en ce qui concerne les plateformes partenaires. Si l’on sait notamment qu’elles devront accepter au minimum les mêmes formats que le PFF, pouvoir extraire les données à transmettre à la DGFIP et être capables de s’interfacer entre elles et avec le PFF, leur cahier des charges reste à finaliser. Etant donné la sensibilité des informations concernées, il contiendra certainement des exigences drastiques de sécurité comme la conformité au référentiel SecNumCloud ou bien la certification ISO27001. L’immatriculation sera alors accordée pour trois ans et soumise à un audit ex post sous douze mois à renouveler périodiquement.
Avec cette réforme, l’Etat ne fait pas mystère de ses intentions. Son objectif premier est de lutter contre la fraude et de sécuriser la collecte de la TVA – sa principale recette fiscale – tout en limitant les contrôles manuels. Grâce aux données collectées, il aura aussi une visibilité sans précédent sur l’activité économique globale et par secteurs, ce qui lui permettra de piloter beaucoup plus finement son action. Enfin, il cherche aussi à soutenir les entreprises en endiguant le fléau des retards de paiement, qui fragilisent les PME, et en contribuant à leur compétitivité via la réduction du coût global du processus de déclaration et de facturation. A ces économies, de l’ordre de 50 %, s’ajoutera une diminution du nombre de litiges du fait de la normalisation du processus et de sa transparence accrue.
Ces bénéfices, les entreprises peuvent en profiter sans attendre 2024 en s’équipant d’une solution d’automatisation du processus P2P (purchase to pay). Compatible avec le futur dispositif, elle leur permettra d’optimiser et d’automatiser leurs processus comptables et de se préparer en douceur à la généralisation inéluctable de la facture électronique.
Pour les cabinets d’expertise comptable, cette évolution réglementaire représente à la fois un changement majeur qui les amèneront à repenser leurs offres mais aussi et surtout l'occasion de se positionner en tant qu’allié indispensable en accompagnant dès maintenant leurs clients dans le choix de solutions adaptées.
Jean-François Defudes, Avocat Associé chez Delsol Avocats, et François Lacas, Directeur des opérations adjoint chez Yooz