Une tribune d'Olivier Buisine, administrateur judiciaire, ancien Président de l'IFPPC (Institut français des praticiens des procédures collectives).
L’objectif de développement durable conduit les entreprises à assumer un rôle sociétal qui dépasse les seuls intérêts financiers. L’information extra-financière est devenue une composante importante de l’évaluation de la performance des entreprises. Deux directives européennes vont révolutionner l’information extra-financière des entreprises. Décryptage.
Information extra-financière : cadre réglementaire européen
Les directives n° 2013/34/UE du 26 juin 2013 et n° 2014/95/UE du 22 octobre 2014 prévoient la publication d’informations extra-financières par les grandes entreprises. L’article 8 du règlement Taxonomie (UE) n° 2020/852 du 18 juin 2020 impose en outre des obligations nouvelles de transparence au sein des déclarations non financières relatives aux entreprises de taille significative.
La Commission européenne a déposé le 21 avril 2021 un projet de directive en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) qui prévoit une clarification des éléments communiqués par les entreprises dans le cadre du reporting extra-financier, une extension des entreprises concernées par ce reporting (PME cotées sur un marché réglementé de l’Union européenne à compter du 1er janvier 2026) et une analyse des données communiquées dans le cadre d’un contrôle indépendant.
Près de 50 000 entreprises européennes pourraient ainsi être concernées contre 12 000 aujourd’hui.
Le 24 février 2022, le Conseil de l’UE a arrêté sa position concernant ce texte au travers d’une orientation générale. La commission des affaires juridiques du parlement européen a adopté, le 15 mars 2022, par 22 voix pour, 1 contre et 0 abstention, sa position sur la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD). Le texte pourrait ainsi être adopté d’ici la fin de l’année 2022 en fonction de l’avancée des discussions entre le conseil de l’UE et le parlement européen.
Devoir de vigilance
La Commission européenne a également publié le 23 février 2022 une proposition de directive visant à obliger les grandes entreprises à veiller à ce que leurs activités respectent les droits humains et environnementaux. Le projet de directive, qui pourrait être adopté d’ici fin 2023, prévoit une application aux grandes entreprises de l’UE et de pays tiers actives dans l’UE comptant plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 150 millions d’euros au niveau mondial. Ce seuil serait abaissé, deux ans après l’entrée en vigueur du texte, aux entreprises qui emploient plus de 250 personnes et réalisent un chiffre d’affaires annuel de plus 40 millions d’euros dans le cadre de certains secteurs à risques (industrie textile, agriculture, extractions de minerais).
La directive devrait s’appliquer aux opérations propres aux entreprises, à leurs filiales et à leurs chaînes de valeur (relations commerciales établies de manière directe et indirecte).
Environ 13 000 entreprises européennes et 4 000 de pays tiers opérant dans l'UE seraient ainsi soumises au devoir de vigilance.
La proposition de directive introduit l’obligation pour les administrateurs de mettre en place et de superviser la mise en œuvre du devoir de vigilance ainsi que de l’intégrer dans la stratégie d’entreprise. Des autorités administratives nationales désignées par les Etats membres seront chargées de contrôler le respect de ces nouvelles règles et pourraient infliger des amendes en cas d’infraction.
Adaptation des normes comptables
Le groupe consultatif pour l’information financière en Europe (EFRAG) devrait être chargé en parallèle d’élaborer les normes européennes obligatoires relatives à la publication d’informations en matière de durabilité, couvrant les questions environnementales, les affaires sociales, notamment l’égalité des genres et la diversité, ainsi que la gouvernance, y compris la lutte contre la corruption.
Enjeux de la transposition des directives pour les entreprises françaises
Rapprocher les démarches RSE, le devoir de vigilance et les normes comptables environnementales au travers de la mise en œuvre par les entreprises de reportings spécifiques communs à ces différentes notions constitue un enjeu colossal pour les entreprises.
La détermination des seuils (nombre de salariés et chiffre d’affaires) sera une question délicate à trancher. Un équilibre devra être trouvé par le législateur, afin de ne pas alourdir les obligations des PME et des ETI, tout en essayant de converger vers un capitalisme responsable et de communiquer aux parties prenantes de l’entreprise des informations extra-financières fiables et exhaustives (actionnaires, salariés, etc.).
Outre les différents aspects de responsabilité civile voire pénale (préjudice écologique, défaut d’obligation d’information des investisseurs, etc.), les manquements aux différentes obligations seront également susceptibles d’affecter l’entreprise et ses dirigeants en termes d’image et de réputation (impact sur le chiffre d’affaires).
Formation des salariés et des organes de gouvernance
La mise en place de nouvelles formations spécifiques apparaît indispensable afin de sensibiliser les responsables des achats, les directions administratives et financières ainsi que les responsables compliance des entreprises de plus de 250 salariés. Les organes de gouvernance des entreprises devront également être sensibilisés à ces problématiques émergentes. Sans naturellement s’immiscer dans la gestion des entreprises, les investisseurs institutionnels et les fonds d’investissement seront en outre amenés certainement à veiller à ce que les sociétés dont elles détiennent des participations respectent bien leurs obligations en matière d’information extra-financière.
Mise en place de reportings
La communication d’informations extra-financières conduira surtout les entreprises à devoir mettre en œuvre, dans les années à venir, des systèmes internes de collectes d’informations, de reportings et d’analyse des écarts entre différents exercices comptables.
Rôle des commissaires aux comptes
Les professionnels du chiffre auront évidemment un rôle central à jouer. Les commissaires aux comptes et leurs collaborateurs devront, eux aussi, se former à ces problématiques nouvelles. Leur intervention dans le cadre de la certification des comptes apparaîtra certainement renforcée à l’issue de la transposition des deux directives en droit français.
Olivier Buisine, administrateur judiciaire, ancien Président de l'IFPPC (Institut français des praticiens des procédures collectives)