Une tribune d'Olivier Trocherie, Associé, Responsable EPM et BI, conseil et support opérationnels chez BM&A.
Commençons par un peu d'histoire pour mieux comprendre. En 2007, lorsque SAP fait l’acquisition de Business Objects pour renforcer sa position dans le domaine de la business intelligence, il fait également main basse sans le savoir (ou presque) sur l’outil préféré des consolideurs français, Magnitude, issu de l’ex-pépite française Cartesis. La « Rolls Royce » des consolideurs en France équipe alors plus de 70 % du SBF 120 ainsi que plusieurs dizaines d’ETI au travers de services cloud.
Depuis cette époque, le marché français est particulièrement marqué par cette technologie : des générations de consolideurs se sont formés au travers des solutions ex-Cartesis (nommées successivement Magnitude, BO FC, puis SAP FC). Outil nativement dédié à la consolidation statutaire, très structuré, doté de fonctionnalités de reporting et d’un puissant moteur de traitement, cet outil fut si populaire auprès des utilisateurs que ses termes techniques sont rentrés dans le jargon du métier : on parle ainsi de « périmétrisation » d’une écriture, ou encore d’une « variante » de consolidation.
En outre, l’outil est la plupart du temps utilisé aussi pour le reporting de gestion groupe et pour la consolidation des budgets. Dans de nombreux groupes, son paramétrage a été personnalisé à l’extrême pour répondre aux besoins de communication interne et externe. Il constitue le socle du reporting groupe, et la pierre angulaire des processus de « fast close », qui permettent des délais de production des comptes de plus en plus réduits.
Cependant, cette position ultra dominante sur le marché français ne semble plus suffire aux yeux de son éditeur SAP : sauf grande surprise, ce dernier n’étendra pas la maintenance de son outil au-delà de 2027, préférant concentrer ses ressources sur le déploiement d’un nouveau module de consolidation directement intégré à son ERP S4 HANA. Or, cette nouvelle solution convainc difficilement le marché français, car son approche monolithique constitue souvent une barrière technologique, et les consolideurs n’y retrouvent ni la philosophie de l’outil d’ancienne génération, ni ses fonctionnalités. Ainsi, à ce jour, aucun groupe français n’a fait le choix de cette technologie.
Du côté des alternatives à SAP, on trouvera essentiellement des solutions EPM (Enterprise Performance Management) qui constituent des plateformes globales de pilotage (Onestream, Tagetik...). Leur champ applicatif est bien plus large que celui de SAP FC : outre la consolidation, ces outils embarquent élaboration budgétaire, reporting opérationnel, costing, disclosure management, ESG, publication XBRL... Mais qui dit outil multifonctions dit souvent outil moins spécialisé, et là encore, les consolideurs ne retrouvent pas immédiatement l’ensemble des fonctionnalités auxquelles ils ont été habitués au travers des outils ex-cartesis, malgré les efforts réalisés par les éditeurs et leurs partenaires intégrateurs pour enrichir leur paramétrage.
La résistance au changement est grande, et nombreuses sont les directions consolidation et reporting qui se disent poussées au changement par SAP via cette deadline de 2027. Ils doivent ainsi se préparer en marche forcée et dans un délai court à une transition qui s’annonce complexe : d’une solution dédiée spécifiquement à la consolidation statutaire « à la française », le marché s’internationalise et bascule vers des outils dotés de plus de fonctionnalités, plus souples mais moins spécialisés sur la consolidation. L’outil historique des consolideurs français n’a pas d’héritier spirituel et quel que soit le remplaçant choisi, il ne s’agira pas d’un simple projet de migration ou montée de version d’outil car des travaux de formalisation, d’adaptation et de rationalisation des processus de consolidation et de reporting devront être réalisés pour faciliter les transitions vers les nouvelles technologies.