Denis Barbarossa : « Ce qui freine la croissance, ce n’est pas le commissaire aux comptes mais plutôt le niveau des prélèvements obligatoires »

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Le Président du syndicat IFEC de la profession comptable Denis Barbarossa revient sur l’actualité du monde du chiffre : le PACTE, le prélèvement à la source et le TESE, le report des élections professionnelles…

Le rehaussement des seuils d’audit légal a été adopté en commission à l’Assemblée nationale. Quels sont vos commentaires à ce sujet ?

L’adoption du relèvement des seuils d’audit légal par la commission spéciale chargée d’étudier le projet de loi PACTE est une première bataille décevante pour nous. Nous fondons beaucoup d’espoir sur les députés puis sénateurs et leur implication sur les territoires pour limiter les pertes en séance publique jusqu’à la commission mixte paritaire avec les amendements que l’IFEC continue de porter.

C’est évidemment un tsunami pour la profession. C’est une défaite pour tous les intervenants, qu’ils soient syndicaux ou institutionnels, qui depuis des mois militent pour expliquer le rôle du commissaire aux comptes au sein de l’économie nationale et pour l’intérêt général, contrairement à cette mission de conseil que nous aurions, à en croire le ministre Bruno Le Maire. C’est une grande déception bien entendu car ce sont des milliers d’emplois qui sont menacés et des centaines de millions d’euros que la profession perd.

Aujourd’hui, l’IFEC poursuit le combat tout comme la CNCC pour obtenir a minima que nous restions actifs dans les groupes, au sens où nous entendons cette notion de groupe. Selon le ministre Bruno Le Maire, un groupe renvoie à un ensemble juridiquement constitué avec une holding et des filiales. Notre ambition est de faire prendre conscience au gouvernement et aux parlementaires qu’un groupe peut également être constitué d’une même personne physique, un même bénéficiaire effectif, avec des structures détenues en direct. A défaut de groupe juridiquement constitué, il y a dans ce cas un groupe économiquement constitué. L’équité exige que ces deux catégories de groupes soient soumises au même régime d’intervention des commissaires aux comptes.

Le ministre Bruno Le Maire a également annoncé plusieurs mesures en faveur des professionnels du chiffre : audit légal PE, mission d’audit dans les petits groupes, passerelle entre le CAFCAC et l’inscription à l’Ordre des experts-comptables… Quel est votre point de vue ?

Ce ne sont pas des mesures en notre faveur. L’audit légal PE et la mission d’audit dans les petits groupes ne sont jamais qu’une solution issue du rapport de Cambourg pour permettre le rebond de la profession et atténuer les effets dévastateurs d’une loi. Cela fait partie des propositions que nous soutenons pour limiter la casse, conserver les talents au sein du commissariat aux comptes et des missions comme l’audit légal des comptes consolidés qui est une spécialité française.

Le PACTE comporte certes des mesures positives, mais pour les experts-comptables. Et ce ne sont pas forcément les mêmes personnes que les auditeurs.

Il y a cette passerelle entre l’expertise comptable et le commissariat aux comptes, pour laquelle l’IFEC s’est battu dès le début, qui a rapidement été validée par les deux ministères et qui nous satisfait car elle permet effectivement de donner un avenir à ceux qui n’ont que le CAFCAC.

L’expert-comptable en entreprise est aussi une avancée. Mais c’est l’aboutissement – comme sur de nombreux autres sujets – de demandes renouvelées de la profession qui se débloquent enfin.

On aboutit également sur le sujet des maniements de fonds. Il nous restera encore à voir sa mise en œuvre concrète dans les cabinets. Mais cela nous permet enfin de remplir cette mission de full service qui est une demande de nos clients : de bénéficier d’un guichet unique pour la gestion administrative et financière et plus particulièrement, pour celle de leurs créances et dettes.

Nous sommes donc satisfaits pour les experts-comptables de l’article actuel du projet de loi PACTE. Sous la houlette de Charles-René Tandé et avec l’appui de l’IFEC, nous avons des avancées très significatives, des avancées comme jamais la profession n’en a eu depuis de nombreuses années. C’est très positif pour les experts-comptables. Sur la partie audit, nous répétons à nos interlocuteurs de Bercy que ce qui freine la croissance de la France, ce n’est pas le commissaire aux comptes mais plutôt le niveau des prélèvements obligatoires, qui reste absolument déraisonnable par rapport à notre voisin « étalon » allemand.

Un autre sujet d’actualité : le prélèvement à la source – sauvé in extremis – et notamment, la proposition de recourir au TESE pour sa mise en œuvre dans les petites entreprises. Quelle est votre déclaration sur ce point ?

L’IFEC a été le premier syndicat de la profession à réagir vivement à ce sujet sur le TESE. Nous avons toujours mené un combat contre celui-ci, rappelant les risques pour les entrepreneurs, rappelant au ministère de tutelle qu’il s’agissait d’un marché privé, concurrentiel, fonctionnant convenablement et sur lequel on trouve, certes des experts-comptables, mais également des SS2I et des éditeurs de logiciels. Venir intervenir sur ce marché par le truchement des cotisations sociales, qui viendraient financer un service gratuit, non pas vraiment de l’Etat mais un service parapublic, nous semble complètement ubuesque et absolument anormal, c’est de la collectivisation !

L’IFEC a le premier réécrit son mécontentement et demandé à nouveau un rendez-vous au ministre Gérald Darmanin sur ce sujet. Nous continuons de mener le combat pour faire prendre conscience à la tutelle que c’est une hérésie. Nous avons eu par ailleurs des déclarations très favorables de la CPME contre le TESE, lequel reste un risque important pour les chefs d’entreprise ne disposant pas de maîtrise notamment juridique et sociale du sujet.

Pour finir, les élections professionnelles. Le syndicat ECF a intenté un recours contre leur report. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?

Cette décision appartient à ECF. Il convient cependant de rappeler le contexte. Nous étions ensemble – le Président de la CNCC et les deux Présidents de syndicats – devant le Directeur des affaires civiles et du sceau le 19 mai dernier. Jusqu’au quart d’heure précédent, le Président d’ECF nous assurait d’une vision commune de la profession pour le report des élections en 2019. Et devant le Directeur des affaires civiles et du sceau, ce dernier s’est renié et a brandi le livre blanc ECF prônant la fusion de l’Ordre et de la Compagnie ! Ce comportement nous est apparu assez peu professionnel et responsable.

La profession est confrontée à son avenir et doit apparaître unie devant les pouvoirs publics pour défendre les intérêts des consœurs et confrères. Je peux comprendre qu’ECF ait envie de se battre et de compter ses voix. Je pense qu’aujourd’hui, face au tsunami que nous vivons, l’important est plutôt de rester unis et de trouver ensemble des solutions dans le moment de crise que nous vivons. Nous sommes en pleins débats parlementaires sur le PACTE, il ne me paraît pas utile d’organiser des élections aujourd’hui.

Lors du Conseil national de la CNCC, ECF a menacé la garde des Sceaux d’un recours. Cette menace a été portée à exécution. C’est à nouveau la preuve qu’ECF préfère les effets d’esbroufe plutôt que de travailler structurellement avec nous. Je laisse la responsabilité de son action à ECF.

Propos recueillis par Hugues Robert

 

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