- Tribune - par Olivier Grivillers, Associé Evaluation chez CROWE HAF, un cabinet d'audit et de conseil financier
Les opérations Public to Private (P2P), qui consistent à retirer une entreprise cotée de la bourse pour la privatiser, connaissent un essor, porté par le dynamisme du private equity et des évolutions réglementaires favorables. Cette tendance, particulièrement observée sur les marchés Euronext et Euronext Growth, transforme le paysage financier et touche des secteurs clés comme celui des Entreprises de Services du Numérique (ESN).
Entre valorisation attractive, stratégies de rachat et impératifs réglementaires, le rôle de l’expert indépendant s’impose comme un élément central pour garantir équité et transparence dans ces opérations Les opérations Public to Private qui restent complexes.
Les opérations Public to Private : un phénomène en pleine expansion
Une opération de public to private (P2P) consiste à retirer une entreprise cotée en bourse pour la privatiser, en général via le rachat de ses actions par un groupe d'investisseurs ou une entité privée. Ces opérations sont réalisées dans le strict respect de la réglementation boursière du marché concerné par la société objet de l’offre. Ainsi, en France, lorsqu'une société ou un fonds d'investissement acquiert une participation substantielle dans une société cotée, le franchissement du seuil de 30 % des droits de vote déclenche généralement une obligation de déposer une OPA sur l'ensemble des titres, afin de garantir l'équité et la transparence vis-à-vis des actionnaires minoritaires. L’étape suivante est la détention du seuil de 90% du capital et des droits de vote et le déclenchement d’une Offre Publique de Retrait si les investisseurs cherchent à retirer l’entreprise de la côte.
Plus généralement, tout secteur confondu, en 2023, sur le marché Euronext et Euronext Growth on compte 31 sorties de cote contre seulement 6 introductions en bourse, une tendance qui se confirme depuis plusieurs années, en 2022 on comptait 25 sorties de cote contre 11 introductions.
On observe par ailleurs, depuis une dizaine d’années, une part grandissante des offres publiques, sur les marchés Euronext et Euronext Growth, suivies d’une opération de retrait de la cote et un développement particulier des opérations de retrait de cote menées par des fonds d’investissement qui caractérisent une opération de P2P.
Private Equity et réglementation : moteurs du développement des opérations P2P
Le développement de ses opérations s’explique en premier lieu par le développement du secteur du private equity qui a connu une expansion significative au cours des dernières décennies. Les fonds de private equity attirent des capitaux importants en promettant des rendements élevés grâce à des multiples de sortie attractifs. Ils disposent par ailleurs d’une capacité d’emprunt significative à travers leur accès à de diverses stratégies de financement leur permettant de ce fait d’atteindre des seuils de détention au capital de certaines sociétés cotées assez rapidement en comparaison avec des acheteurs dits industriels.
Il s’explique en second lieu par des facteurs inhérents au marché boursier et à la réglementation et notamment La loi Pacte qui a abaissé en septembre 2019 le seuil de détention pour lancer une OPR de 95% à 90% en alignant la France avec la majeure partie des pays européens, Le désintérêt des investisseurs pour les petites capitalisations qui incite les entreprises à se retirer de la cote et la sous valorisation des sociétés en bourse. On observe effectivement aujourd’hui un différentiel de valorisations entre les sociétés cotées en Bourse et celles détenues par des fonds de private equity. Une société peut avoir souvent un multiple de valorisation de son EBIT inférieur à celui d’une entreprise similaire détenue par un fonds de private equity. Cela crée une opportunité pour les fonds d'acheter à bas prix, d'améliorer les performances de l'entreprise, et de la revendre à un multiple plus élevé à terme sachant que certaines sociétés sont peu endettées, ce qui permettra au fonds de faire jouer l’effet de levier et d’offrir une prime attractive aux actionnaires existants.
Les Entreprises de Services du Numérique : cibles privilégiées des fonds de private equity
Les Entreprises de Services du Numérique –(ESN) sont notamment devenues des cibles privilégiées pour les fonds de private equity désireux de réaliser des investissements financiers sur un marché affichant des taux de croissance et des marges importantes depuis de nombreuses années, tout en étant un secteur d’activités historiquement peu endettés.
Ce processus permet ainsi à la gouvernance historique de la société, qui peut se caractériser par une certaine séniorité lorsque l’on évoque des sociétés crées il y a plusieurs décennies et dont les créateurs détiennent encore majoritairement le capital de la société de bénéficier des primes induites des investissements de fonds de private equity comme le témoigne les récentes opérations sur des ESN françaises.
L’expert indépendant : garant de l’équité et de la transparence
Il convient de rappeler que ces opérations peuvent se dérouler en un ou deux temps, l’expert indépendant intervenant dans tous les cas.
Lors de la première offre (offre publique d’achat suivie ou non d’un retrait obligatoire) qui est souvent concomitante au franchissement du seuil de 30 % des droits de vote par l’investisseur, le prix proposé aux actionnaires minoritaires est généralement égal à celui qui résulte de l’entrée au capital de l’investisseur. Cependant, le traitement et le suivi des différents actionnaires divergent dans la mesure où les fondateurs réinvestissent souvent une partie de leur capital, au côté de l’investisseur dans une Newco, le succès de l’opération reposant aussi souvent sur le fait de garder les hommes clés. De même, il va souvent être proposé aux managers d’investir de manière significative au sein du capital de la société, aux côtés de l’investisseur financier.
Il est donc proposé aux actionnaires minoritaires de vendre leurs actions, tandis que les fondateurs et les manageurs réinvestissent. Par rapport à cela le rôle de l’expert indépendant qui intervient dans le cadre de l’offre publique est important dans la mesure où il devra s’assurer, sous le contrôle aussi de l’AMF, que le prix qui est offert aux actionnaires minoritaires qui est le même que celui qui résulte du prix offert par l’investisseur est bien équitable. Pour ce faire il devra analyser l’ensemble du mécanisme de l’opération de P2P qui s’apparente en général à un LBO en s’assurant que les valeurs résultantes d’apports et de cession aux niveaux de la holding de reprise correspondent bien par transparence au prix d’offre proposé aux actionnaires minoritaires.
Si la première Offre vise directement le retrait obligatoire ou en cas de seconde Offre visant le retrait obligatoire, L’Offre publique de retrait va donc entrainer une perte du contrôle de l’actionnaire minoritaire dans la mesure où il sera contraint de vendre ses actions, parfois à un prix qui ne reflète pas pleinement la valeur future de l'entreprise. L’expert indépendant devra ainsi s’assurer au regard de l’analyse multicritère qu’il effectue en appliquant notamment des méthodes intrinsèques (DCF) ou analogiques (comparables) que le prix d’offre est équitable. Il devra aussi s’assurer de la cohérence du plan d’affaires qui est retenu qui est parfois le sujet d’achoppement pour les actionnaires minoritaires dans la mesure où l’initiateur peut déjà contrôler la société sachant qu’il appartient aussi au conseil d’administration et au comité ad hoc de le valider. La réglementation a aussi évolué positivement en 2020 pour mieux « protéger » l’actionnaire minoritaire en instaurant notamment la constitution de comité ad hoc indépendant pour suivre les travaux de l’expert.
L’intervention de l’expert indépendant est donc en synthèse importante face à une complexité aussi accrue des opérations de P2P.
L’ouvrage DALLOZ 2025 « ingénierie financière, juridique et fiscale » qui vient d’être publié, sous la direction de Philippe Raimbourg et d’Alain Pietrencosta, traite de l’ensemble de ces problématiques, notamment au travers d’un chapitre dédié aux retraits de la cote.
Olivier Grivillers, Associé Evaluation, CROWE HAF